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Ceux qui viennent
d’Ailleurs
Récit d’une barbare par Jorus och Bodhràn
Traduit du rônirien par Sylvie Barc & Dominique Granger
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Note
Nous avons tenté de préserver autant que possible les particularités du
langage de Jorus qui, ne l’oublions pas, était une « barbare » nordique ;
nous avons entre autres traduit de notre mieux des expressions telles que
C’est certes ou le savoureux verbe dubiter (douter).
Les événements relatés ci-après se déroulent du mois de la Vieille 1033
au mois de la Mandragore 1038 suivant le calendrier de Port-Ker.
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Fort-Ragnelf, mois de la Vieille 1057
Ana est partie avec Rolf, toujours plus à l’Ouest. Je viens
de laisser les jumeaux à Eorlagh. Ils vont commencer leur
première Chasse demain. Je me sens triste ce soir et j’ai envie
d’écrire. Je me rends compte que je n’ai jamais remercié
Gütveuc’h de m’avoir bien appris à lire et à écrire, il y a près de
vingt-cinq ans. Il faudra que j’y pense quand je descendrai à
Fontfroide. Pour l’heure, c’est ici que j’ai envie d’être. Monoï et
Binoï ont perçu mon humeur nostalgique, ils m’ont apporté un
tonnelet de bière. Je regarde les flammes en fumant ma pipe. Je
ne sais pas trop par où commencer…
Peut-être par ce jour d’automne où ma famille a été assassinée.
J’avais sept ans. J’étais partie récupérer le gibier dans les collets. Je
n’oublierai jamais les hurlements en arrivant près de la maison. Je me suis
cachée dans un fourré sans lâcher mes lapins. À des cris de terreur se
mêlaient des cris de douleur. Et des rires. Je n’ai pas osé bouger pendant
un long moment et je me suis endormie. Une cavalcade m’a réveillée à
l’aube : cinq hommes s’éloignaient de la maison, avec nos chèvres et une
mule bien chargée sur laquelle j’ai reconnu la grosse couverture rouge de
mes parents.
Quand j’ai quitté ma cachette pour approcher, j’ai découvert les
corps. Mon père est mort en combattant. Il était entouré de huit cadavres,
sa hache était encore plantée dans le torse d’un neuvième. Il se battait
bien mon père. Normal, c’était un fils de Skuld. Ma petite sœur et mon
petit frère gisaient près de la porte, le crâne défoncé. J’ai trouvé ma mère
et ma grande sœur - enfin, elle n’avait qu’un an de plus que moi - dans la
maison. Elles étaient nues, couvertes de traces de coups, la gorge
tranchée. Je n’ai compris que bien plus tard qu’elles avaient été violées.
La maison était dévastée, les meubles brisés. Comme dans un rêve, j’ai
cherché une pelle. Et creusé. J’ai habillé ma mère et ma sœur. Puis j’ai
mis toute ma famille dans la grande fosse. Je l’ai refermée. J’ai cueilli un
bouquet de bruyère que j’ai posé sur la terre nue. Dans la maison, il n’y
avait plus de provisions, plus rien d’utile. J’ai pris quelques vieux
vêtements, une couverture déchirée, un briquet, et je suis partie en
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fermant bien la porte derrière moi. Un réflexe idiot. J’ai récupéré les
lapins dans le fourré. Ce n’est que le soir que j’ai pleuré.
Mes parents nous avaient toujours dit qu’ils ne pouvaient pas
retourner dans leurs clans parce qu’ils s’étaient mariés sans le
consentement de leurs familles. Alors je n’ai pas essayé d’aller voir ces
gens qui les avaient chassés. Je suis partie vers le sud.
Au bout de deux semaines, j’étais dans un piteux état. Une
famille de fermiers m’a recueillie. Les parents étaient plutôt gentils. Ils
avaient trois fils, un peu plus âgés que moi. Eux m’ont ignorée jusqu’au
jour où ils ont réalisé que j’étais une fille. Et qu’on pouvait faire bien des
choses avec une fille. Je devais avoir dans les douze ans. Ils sont venus
me voir alors que je gardais les moutons. J’ai tout de suite compris à leurs
regards, sournois mais décidés, qu’ils voulaient « me faire ma fête »,
comme ils me le promettaient depuis quelques jours. Et moi, je n’avais
pas envie de faire la fête. J’ai assommé le premier avec mon bâton, cassé
le bras du second en le lui tordant brutalement, flanqué un coup de poing
au troisième qui est tombé en se cognant la tête sur une pierre. Et je me
suis enfuie. Vers le sud.
C’est ce jour-là que j’ai décidé de ne plus jamais m’appeler
Jorün. Et de faire croire à tout le monde que j’étais un garçon. J’ai volé
des vêtements qui séchaient dans un pré. Je m’en suis voulu. Ils ne
devaient pas appartenir à des gens bien riches, ils allaient sûrement leur
manquer. Mais c’étaient des vêtements de garçon et je ne pouvais pas
continuer à me balader en bergère.
Je suis arrivée à Althor quelques jours plus tard. Hulfgard et
Svarog montaient la garde, à l’entrée de la ville. Sans doute n’était-ce pas
un hasard : Hulfgard est un Ragnaroëker, et un fils de Skuld lui aussi. Il
m’a prise sous sa protection. Je suis devenue quatrième valet d’écurie du
baron d’Althor. Quelle ordure celui-là, il n’a eu que ce qu’il méritait ! Je
n’y connaissais rien en chevaux, mais j’apprends vite. Les chevaux sont
rapidement devenus une passion pour moi. Cela a duré environ trois ans
avant qu’Hulfgard ne me fasse entrer dans la garde.
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- Un barbare, c’est pas fait pour ramasser la merde des chevaux,
c’est fait pour se battre, avait-il dit.
Mais bon, deux des gardes ont fini par réaliser que le poil ne me
poussait pas au menton. Ils ont essayé de me violer un jour où je me
baignais dans la rivière. J’en ai tué un et laissé l’autre inconscient, avec le
nez cassé. J’ai foncé au château récupérer mes maigres possessions,
quelques provisions et Brume. C’était ma jument préférée, je l’avais mise
au monde, chouchoutée, dressée. Il n’était pas question que je la laisse au
baron, aussi sadique avec les animaux qu’avec les humains.
Le mois de la Vieille n’est pas idéal pour voyager dans le Nord. Il
fallait que je trouve un endroit pour passer le pire de l’hiver, avec un
emploi qui me permettrait au moins de gagner de quoi aller plus loin.
J’ai eu la chance de tomber sur Galthus, un forgeron de Léronia.
Un très brave homme. Il m’a embauchée pour lui filer un coup de main,
nourrie, logée et payée du mieux qu’il a pu. C’est là que j’ai rencontré
Mouss. Il vivait avec sa mère, la sœur de Galthus, une veuve qui avait
bien du mal à joindre les deux bouts. À cette époque-là, Mouss avait une
quinzaine d’années. Il était effronté, frimeur, braconnier et dégourdi
comme pas deux. Une vraie plaie ! Mais une plaie avec laquelle j’ai
aussitôt sympathisé.
Lorsque j’ai quitté le village, il m’a accompagnée. Il avait essayé
de faire les poches à un gars de la Confrérie qui passait par là et avait
décidé, sur ses conseils, de descendre à Port-Ker. Il était sûr qu’un grand
avenir l’y attendait, il voulait vivre des tas d’aventures. C’est sûr qu’avant
de devenir l’honorable marchand aux cheveux roux striés de gris qu’il est
maintenant, il en a eu son content !
À partir de ce jour-là, ma vie a pris un tour bien différent. J’ai
rencontré - et tué - mon premier nécromancien, sur un bateau de pierre
échoué sur une plage. J’ai réduit en miettes mes premiers squelettes, avec
Mouss dans les pattes !
Puis Inwë est apparue, un soir, à notre campement. Inwë, mon
étonnante amie. Elle ressemblait à une biche effarouchée, gauche et
timide, mais déterminée. Et si jolie avec ses grands yeux violets et ses
longs cheveux bruns. Elle nous a expliqué, sur son ardoise qui ne la quitte
jamais, qu’elle allait travailler comme garde-chasse chez un baronnet du
coin. Le lendemain, elle est partie vers le nord, nous vers le sud.
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Dans la première auberge, nous avons compris qu’elle était
tombée sur un plan foireux. Les gardes-chasse du baron ne faisaient pas
long feu : ce salopard prenait grand plaisir à chasser une « bête » dans ses
bois, et cette « bête » dévorait tous ses gardes-chasses. Au comptoir, des
paysans pariaient sur l’espérance de vie d’Inwë. Ça m’a fichue en rogne,
j’ai parié à mon tour. Sur la mort de la « bête ».
Je suis repartie vers le nord, avec un Mouss pas vraiment rassuré
qui essayait de m’en dissuader.
Nous avons mis deux jours à retrouver Inwë. Elle avait repéré des
traces de cette « bête » et n’en menait pas large. Je lui ai expliqué ce que
nous avions entendu. Hors d’elle, elle voulait tuer le baron. Je lui ai fait
comprendre que nous ne ferions pas le poids. J’ai ajouté que, par contre,
si nous pouvions tuer sa bestiole, il serait certainement fou de rage.
Le lendemain nous sommes partis en chasse. Et nous avons tué
notre premier troll. Oh, ça n’a pas été simple ! Nous n’étions pas très
doués à l’époque, nous avons dû ruser. Un troll, c’était un sacré gros
morceau. Dégoûtant par dessus le marché, avec tout ce sang vert et
poisseux, ce corps qui se régénérait. Même si j’ai vu bien pire depuis, j’ai
encore le souvenir de la nausée qui m’a retourné l’estomac ce jour-là.
Nous sommes repartis le lendemain. J’ai fait un saut à l’auberge
pour récupérer l’argent de mon pari – nous en avions bien besoin – avant
de rejoindre Mouss et Inwë qui avaient obliqué vers l’est.
Je les ai retrouvés en compagnie d’un échalas roux carotte, mal
peigné, assez joli garçon, aux vêtements crasseux, bref, Gütveuc’h dans
toute sa splendeur. Bien qu’il m’ait tout de suite inspiré confiance, j’ai
craint qu’il ne soit un homme du baron. Je l’ai interrogé, pas très
aimablement – oui, je sais Nim, comme d’habitude. Ça ne l’a pas
démonté. Il nous a expliqué, assez fièrement d’ailleurs, qu’il avait plutôt
été « un homme pour la femme du baron » et que ça n’avait pas plu au
bonhomme. Lui aussi avait intérêt à filer. Alors, nous avons continué la
route ensemble… et pour un sacré bout de chemin !
Gütveuc’h nous a appris qu’il était prêtre. Je n’y connaissais pas
grand-chose en prêtres, mais il me semblait qu’ils avaient un dieu, ou
l’inverse je ne savais pas trop bien… Je lui ai demandé le nom du sien –
je m’y connaissais encore moins en dieux qu’en prêtres mais ça me
semblait plus poli. Il n’en avait pas. Il attendait d’être sûr que celui qu’il
choisirait serait le bon. Je n’ai rien compris.
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Gütveuc’h était un agréable compagnon, mais un incorrigible
dragueur. Il était très lourd avec Inwë qui devait constamment le
rembarrer. Moi, il avait décidé que je préférais les garçons depuis que
j’avais repoussé les avances d’une serveuse dans une taverne. C’était
pratique, mais tout aussi lourd en sous-entendus.
Une nouvelle conquête potentielle s’est bientôt présentée à lui en
la personne de Lnoràh, rencontrée au détour d’un chemin en compagnie
de Lomu. Nous ne savions pas grand-chose du monde aussi la vue de ce
couple incroyable nous a-t-elle laissés pantois. Franchement, une
Khircasienne au crâne rasé dont émergeait une queue-de-cheval
graisseuse, avec des vêtements encore plus sales que ceux de Gütveuc’h,
des scalps au côté – nous ignorions alors ce que c’était – armée d’une
hache à deux mains, accompagnée d’un Nazuréen colossal avec une
houppette sur la tête, une barbichette ridicule, des tatouages sur le visage,
une longue dent pointue en guise de boucle d’oreille, un collier en plumes
et un énorme cimeterre, ça avait de quoi épastrouiller n’importe qui !
Mouss s’était d’ailleurs prudemment placé derrière moi, comme à son
habitude…
La curiosité étant la plus forte, j’ai décidé de faire plus ample
connaissance avec ces drôles de personnages. Ça a été pour nous tous
l’occasion de grandes découvertes, toutes théoriques, sur la géographie,
les mœurs et coutumes, les couleurs de peaux, d’yeux, de cheveux... et la
théologie. J’ai appris à l’occasion trois noms de dieux : Ourch et Khnoum
pour les Khircasies, Toum pour Nazur.
Nous avons décidé de voyager avec eux. Ça ne s’est pas avéré de
tout repos…
Il a fallu convaincre Lnoràh de se laver, ce que j’avais déjà eu du
mal à faire admettre à Gütveuc’h qui trouvait un bain par mois
amplement suffisant.
Le jeune prêtre ne lâchait pas la Khircasienne d’une semelle.
Enfin, jusqu’à ce qu’elle refroidisse ses ardeurs en l’attrapant par les
cheveux et en posant son couteau sur son crâne. C’est là que nous avons
compris ce qu’était un scalp. Nous l’avons alors obligée à se débarrasser
des siens…
Lomu avait pris la détestable habitude d’appeler Gütveuc’h « le
tacheté », à cause de ses taches de rousseur, et Brume « le grand chien ».
Il était d’une intolérance totale, toujours persuadé d’avoir raison. Un jour
où il était encore plus agaçant qu’à son ordinaire, Gütveuc’h a « séparé »
l’ombre du Nazuréen de son corps. Lomu s’est jeté sur lui, cimeterre à la
main, menaçant de jouer avec sa tête s’il jouait encore avec son ombre.
La nuit suivante s’est avérée encore pire. Un hurlement m’a
réveillée : Lomu était en train d’étrangler Mouss dont les pieds flottaient
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à trente centimètres du sol. J’ai foncé, folle de colère, pour rouer de coups
le grand noir qui a lâché mon ami comme un vieux chiffon. Gütveuc’h
s’est approché de Mouss puis m’a rassurée : il était juste inconscient.
Lomu a justifié son acte en affirmant qu’il l’avait surpris en train de
fouiller dans son sac.
- Chez moi, on tue les voleurs et on jette leurs corps aux
crocodiles. Ils ne sont pas dignes d’intérêt ! – ce qui signifiait pour lui
qu’ils n’étaient même pas bons à être mangés…
Sans doute Mouss était-il coupable, mais j’ai quand même juré à
Lomu de le tuer s’il touchait à un seul de ses cheveux.
Au matin, j’ai trouvé l’ardoise d’Inwë près de mon épée avec ces
quelques mots : « Adieu Jorus. Tes nouveaux amis ne me plaisent pas. Je
pars à Port-Ker où mon destin, la gloire et la fortune m’attendent. Ton
ami Mouss pour la vie. ».
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Description:pouvait lancer des sortilèges pour détecter la magie et les choses . Je dois réfléchir à ce que j'ai appris de vos coutumes et votre babillage mis d'accord avec lui-même, il a repris la parole d'un ton plus bas, avec des airs ternies, vêtements usagés, simples baguettes de bois, bijoux en