Le texte des RIG de 1962 au format PDF-texte (Acrobat Reader)

405 Pages·2008·1.48 MB·French

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RENCONTRES INTERNATIONALES DE GENÈVE
TOME XVII
(1962)
LA VIE
ET LE TEMPS
Les générations dans le monde actuel
Dr Paul CHAUCHARD — Jean PIAGET
Michel RALEA — Claude AUTANT-LARA
Louis ARMAND
La vie et le temps
Édition électronique réalisée à partir du tome XVII (1962) des Textes des
conférences et des entretiens organisés par les Rencontres Internationales de
Genève. Les Éditions de la Baconnière, Neuchâtel, 1962, 328 pages.
Collection : Histoire et société d’aujourd’hui.
Promenade du Pin 1, CH-1204 Genève
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La vie et le temps
deuxième de couverture
La crise du monde contemporain et le problème
des générations. Problème de la vieillesse : Un
Européen d’aujourd’hui a autant de chance d’atteindre
70 ans que son aïeul d’il y a quelques siècles en avait
d’arriver à 35 ans. Le nombre des personnes âgées
augmentant toujours, quel peut être leur rôle ? Une
vie entière est parfois nécessaire pour devenir un
maître dans certaines activités. Les connaissances
allant toujours en se compliquant, l’âge créateur, dans
certains domaines, reculera toujours davantage. Or,
bien des « plus de 40 ans » font l’amère expérience
d’être considérés « trop vieux » pour certains emplois.
Problème de l’émancipation de la femme : Si la
femme a été conduite dans notre société industrielle à
une activité professionnelle, elle a dû revendiquer dès
lors une égalité sociale la consacrant comme personne
autonome.
Problème de la jeunesse : La tension entre la
jeunesse et l’âge mûr est aujourd’hui particulièrement
aiguë. Nombre d’influences contrecarrent chez les
jeunes celles de la famille et de l’école. Leur opposition
n’est-elle pas le symptôme d’une situation anormale ?
Symptôme d’une disponibilité qui dévie, faute
d’emploi et de point d’appui.
En bref, jamais le monde n’a été aussi héraclitéen,
c’est-à-dire soumis à la loi d’un incessant devenir.
Force est d’admettre que les anciennes règles de vie
cèdent le pas à un certain probabilisme, et de se livrer
à un effort d’imagination et d’invention. Effort
indispensable pour que naisse une pensée à la
hauteur des nouvelles exigences.
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La vie et le temps
TABLE DES MATIÈRES
(Les tomes)
Avertissement — Introduction
DISCOURS D’OUVERTURE : André CHAVANNE. Louis MAIRE.
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Paul CHAUCHARD : Temps et nature humaine : les bases biologiques.
Conférence du 4 septembre.
PREMIER ENTRETIEN PUBLIC : Le dynamisme de la vie. Le 6
septembre.
Jean PIAGET : Le temps et le développement intellectuel de l’enfant. Conférence
du 6 septembre.
DEUXIÈME ENTRETIEN PUBLIC : Le temps du développement
psychologique. Le 8 septembre.
TROISIÈME ENTRETIEN PUBLIC : Sciences normatives et éducation.
Le 8 septembre.
Michel RALEA : Le problème des générations et la jeunesse d’aujourd’hui.
Conférence du 10 septembre.
QUATRIÈME ENTRETIEN PUBLIC : Jeunesse en crise. Le 11 septembre.
Claude AUTANT-LARA : La jeunesse et le cinéma. Conférence du 11 septembre.
CINQUIÈME ENTRETIEN PUBLIC : La Nouvelle Vague. Le 12 septembre.
LOUIS ARMAND : La technique entre la vie et le temps. Conférence du 13
septembre.
SIXIÈME ENTRETIEN PUBLIC : Technique et éducation. Le 14
septembre.
ENTRETIEN PRIVÉ : Le temps des romanciers. Le 8 septembre.
ENTRETIEN DE CLÔTURE : Le bilan. Le 14 septembre.
*
Index : Participants aux conférences et entretiens.
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La vie et le temps
AVERTISSEMENT
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Les Rencontres Internationales de Genève ne prennent aucune résolution, ne
lancent aucun message, ne définissent aucune revendication. Elles se sont
attribué un rôle plus modeste, mais profondément humain : celui de mettre
l’accent, aux moments décisifs, sur les véritables besoins des hommes. Il y a
des thèmes qui appellent l’action ; encore doivent-ils être proclamés pour ne
pas être oubliés.
C’est pourquoi les R.I.G., plus que jamais, jugent nécessaire de publier en
un volume annuel les conférences et les entretiens de leurs décades.
Les textes des conférences sont publiés ici in extenso. Ils sont suivis du
compte rendu sténographique de tous les entretiens, allégés de certaines
digressions et adaptés à une lecture suivie.
Dans l’index alphabétique placé à la fin du volume, le lecteur trouvera les
noms des participants aux entretiens avec la référence de leurs interventions.
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La vie et le temps
Le Comité d’organisation des Rencontres Internationales de
Genève est heureux de pouvoir exprimer ici sa gratitude à ceux
dont l’appui généreux lui a permis d’assurer le succès de ces
XVIIes R.I.G., et tout particulièrement à l’UNESCO et aux autorités
cantonales et municipales de Genève.
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La vie et le temps
INTRODUCTION
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Lorsqu’on évoque la crise du monde contemporain, l’on s’entend
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souvent rétorquer : « L’humanité est toujours en crise, toutes les époques ont
été « de transition »...
Cette manière de désamorcer la question, signe d’un confort intellectuel qui
ne veut pas être ébranlé, n’est qu’une échappatoire. En réalité, notre situation
est sans précédent dans l’histoire, étant engendrée par des conditions
radicalement nouvelles : les progrès sans répit des sciences et des techniques.
C’est dire que les problèmes qu’elle suscite ne peuvent être résolus par
comparaison ou référence à ceux d’une période quelconque du passé. A la
véritable mutation des sociétés humaines que nous vivons, impossible d’opposer
une fin de non-recevoir. Il arrive qu’un homme puisse tirer de son ressentiment
à l’égard du présent, ou de sa nostalgie du passé, l’inspiration d’une œuvre
d’art ; mais il est certain qu’une attitude négative ne peut avoir pour effet, sur
le plan collectif, que d’entraver et de freiner l’invention des moyens propres à
harmoniser les structures sociales avec les nouvelles conditions de vie.
Pour 1962, les RIG ont choisi d’aborder la situation de notre temps en
considérant plus spécialement le problème des générations. Problème éternel en
un sens, puisque le sentiment courant a toujours distingué dans l’existence
individuelle trois phases successives, de croissance, d’équilibre et de
décrépitude (la « c ourbe » ou les « â ges » de la vie). Les biologistes
d’aujourd’hui voient les choses d’une manière moins schématique, mais ils sont
loin d’être d’accord sur la manière dont le temps influe sur la vie. Le cycle vital
exprime-t-il un rythme biologique fondamental, une loi inéluctable ? La
civilisation le modifie-t-elle et dans quelle mesure ?
Si la « c ourbe » vitale s’impose partout à l’observation humaine, son
interprétation varie évidemment à travers les âges. Certains peuples primitifs ne
voient la vieillesse que sous l’aspect d’un déchet et d’un fardeau, au point de
supprimer les gens âgés ; ailleurs, elle est objet de dédain et de pitié. En
revanche, dans nos civilisations, l’homme d’âge a en principe toujours été
entouré du respect qui va à ce qu’il représente en dépit d’un fréquent déclin
corporel, de force morale et intellectuelle, de richesse de vie et d’expérience.
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La vie et le temps
« Les grandes affaires, dit Cicéron, ne se traitent ni par la force, ni par la
vitesse, ni par l’agilité, mais bien plutôt par la prudence, l’autorité, les bons avis
qui se trouvent à un degré supérieur dans la vieillesse. »
On peut se demander si la vieillesse normale et propre aux « bons
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avis » trouve encore sa place naturelle dans notre société, où trop de personnes
âgées vivent de regrets. La question se pose aujourd’hui avec d’autant plus
d’acuité que l’hygiène et la médecine, malgré le caractère par ailleurs meurtrier
de la vie moderne, ont sérieusement accru la longévité moyenne. Un Européen
qui naît aujourd’hui a autant de chances d’atteindre 70 ans que son aïeul d’il y a
quelques siècles en avait — ou que le natif de certaines régions du monde en a
maintenant — d’arriver à 35 ans. Et le nombre des personnes âgées
augmentant toujours dans notre civilisation, quel peut être leur rôle dans les
conjonctures présentes ?
Il semble évident tout d’abord que la prolongation générale de la vie
humaine impose de reconsidérer la courbe des carrières, de se dégager du
schéma traditionnel et caduc d’un système d’existence comme stéréotypé, allant
de l’acquisition d’un métier à son exercice jusqu’à l’âge, conventionnellement
admis, de la retraite. Ne serait-ce déjà que parce que la complexité des
techniques fait que les années de jeunesse sont devenues insuffisantes pour
l’apprentissage, et qu’une vie entière est parfois nécessaire pour devenir un
maître dans certaines activités. Les connaissances allant toujours en se
compliquant, on peut conjecturer que l’âge créateur, dans certains domaines,
reculera toujours davantage. La vieillesse est une notion très relative. Il est de
toute manière indéniable que la vigueur de l’esprit est plus tenace que celle du
corps, puisque l’histoire atteste que nombre d’hommes de tout premier plan ont
gardé jusqu’à l’extrême vieillesse, dans des spécialités très différentes,
l’intégrité de leur pouvoir créateur. Or, dans notre société actuelle, bien des
« p lus de quarante ans » font l’amère expérience d’être considérés « t rop
vieux » pour nombre d’emplois, du fait que — paradoxal revers des progrès
sociaux — de compliquées prescriptions en matière d’assurances jouent contre
eux.
Un autre aspect nouveau de la vie sociale est constitué par l’émancipation de
la femme, phénomène essentiel qui oblige, lui aussi, à se libérer de beaucoup
d’idées toutes faites. La femme se trouve aujourd’hui dans une situation plus
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La vie et le temps
radicalement neuve que l’homme. Car si elle a d’abord été conduite dans notre
société industrielle à une activité professionnelle, parfois par nécessité, pour
compléter les revenus insuffisants de la famille, elle a aussi été conduite à
revendiquer dès lors une égalité sociale consacrant sa reconnaissance comme
personne autonome. Il est impensable désormais que la femme puisse être
ramenée à sa condition d’antan.
Reste encore le problème de la jeunesse : s’il est évident que ses
préoccupations découlent de certaines circonstances propres à tel ou tel pays,
cette diversité n’exclut pas une certaine tendance générale et commune, qui
tient au caractère même de notre époque. Et si l’on dénonce parfois trop
promptement l’existence d’un conflit des générations, il apparaît bien cependant
que la tension naturelle entre la jeunesse et l’âge mûr est aujourd’hui
particulièrement aiguë, du fait que nombre d’influences — radio, cinéma,
télévision, disque, automobile — accompagnent et souvent contrecarrent chez
les jeunes celles de la famille et de l’école, alors que les adultes ont
partiellement échappé à cet équipement qui, de nos jours, conditionne la
jeunesse dès la naissance. Le vocabulaire à la mode chez certains jeunes reflète
bien cette tension. On est en droit de se demander si leur opposition — et
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souvent leur révolte — sous une forme apparemment stérile, n’est pas le
symptôme d’une situation anormale. Symptôme d’une disponibilité qui dévie,
faute d’emploi et de points d’appui. Et la question dès lors ne s’impose-t-elle
pas : comment orienter les forces jeunes, quelle visée offrir à leurs espoirs
rentrés ? Tâche impérieuse, puisque l’on voit trop souvent les jeunes en quête
de satisfactions toutes négatives, et qu’il est assurément vain de vouloir
moraliser.
En bref, jamais comme aujourd’hui le monde n’a été si terriblement
héraclitéen, c’est-à-dire soumis à la loi d’un incessant devenir. Force est de
s’adapter à l’instabilité des choses, d’admettre que les anciennes règles de vie
cèdent le pas à l’incertitude et à un certain probabilisme, et de se livrer à un
effort d’imagination et d’invention. Effort indispensable pour que naisse une
pensée à la hauteur des nouvelles exigences.
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La vie et le temps
PAUL CHAUCHARD
né à Paris en 1912, est docteur en
médecine et docteur ès sciences depuis 1939. Il dirige actuellement le
Laboratoire de neuro-physiologie de l’excitabilité à l’Ecole pratique des
Hautes Etudes, et enseigne la psycho-physiologie à l’Ecole de
psychologues praticiens. Elève de Louis Lapicque, ses recherches portent
spécialement sur le rôle du temps dans le fonctionnement nerveux
(chronaxie) et plus généralement sur la physiologie de la conscience (cf.
Le cerveau et la conscience). Loin d’être un savant enfermé dans sa
spécialité, le Dr Chauchard est un esprit ouvert à la problématique
philosophique et son ouvrage : L’être humain selon Teilhard témoigne de
l’admiration qu’il voue à la pensée du P. Teilhard de Chardin. Il estime en
particulier que la connaissance biologique comparée des animaux et de
l’homme redonne ses droits à une morale universellement valable, et
peut servir ainsi à l’instauration d’un nouvel humanisme. Le spiritualisme
réaliste du Dr Chauchard lui permet d’entretenir un dialogue amical tant
avec les biologistes matérialistes qu’avec les marxistes. Le Dr Chauchard
est également l’auteur de très nombreuses publications dans la collection
Que sais-je ?
TEMPS ET NATURE HUMAINE :
LES BASES BIOLOGIQUES
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Organisme vivant, l’homme n’est pas une petite portion
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statique de l’espace subissant les assauts destructeurs d’un temps
extérieur à lui. Parce qu’il est dynamisme actif, du chimisme de sa
matière vivante à son activité volontaire, il n’existe que dans la
succession des instants : il n’est pas structure, il est structuration.
Les trois dimensions de l’espace inscrites en lui par la pesanteur
agissant sur son oreille interne, et spécialement ses trois canaux
semi-circulaires, sont inséparables des mouvements qu’il y exécute
en se déployant dans cette quatrième dimension qu’est le temps.
L’homme vit dans l’espace-temps, l’homme est conscient de
l’espace-temps, l’homme a le devoir, non de subir, mais d’utiliser
correctement l’espace-temps conformément à sa signification.
Arrêter le temps, ce rêve de qui ne veut pas vieillir ou disparaître,
1 Conférence du 4 septembre 1962.
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