Table Of ContentANNAGAVALDA
Je Voudrais qu
mJ attende quelque part
HWn
inzosisch
Anna Gavalda
Je voudrais que
quelqu’un m’attende
quelque part
Rédactrice : Fabienne Baujault
Illustrations : Birgitte Frier Stewart
gt RE/,û*
S Ë i V i î
Uauteur
Anna Gavalda est née en 1970 à Boulogne-Billancourt
près de Paris. Aujourd’hui, elle vit à Melun dans la ban
lieue-sud de Paris. Elle a trois frères et sœurs qui sont ses
meilleurs amis. Elle a fait plein de petits boulots : jeune
fille au pair aux Etats-Unis, fleuriste, assistante vété
rinaire et professeur de français. Elle a toujours aimé
écrire. Ses livres sont des best-sellers et sont traduits
dans une trentaine de langues. Elle adore raconter des
histoires à tout le monde. Quand elle n’écrit pas, elle
s’occupe de ses deux enfants.
Autres titres de l’auteur :
35 kilos d’espoir
Ensemble, c’est tout
Je l’aimais
Contenu
Petites pratiques germanopratines 7
LLG. 14
Cet homme et cette femme 19
The Opel Touch 22
Ambre 28
Permission 34
Le fait du jour 42
Catgut 49
Junior 53
Pendant des années 62
Clic-clac 71
Épilogue 83
5
Petites pratiques germanopratines
Saint-Germain-des-Prés !?.** Je sais que vous allez dire :
«, Mon dieu, c'est tellement commun, ma chérie et
Sagan l’a fait avant toi et c'était bien mieux ! »
Je sais* Ecoutez-moi, je suis sûre que vous allez aimer
cette histoire* 5
Donc, ce matin, j’ai croisé un homme sur le boule
vard Saint-Germain* Dès que je l'ai vu, je savais qu’il se
passerait quelque chose*
En effet, quand il arrive près de moi, il me regarde
et je lui souris. Il me sourit aussi* Je continue mon 10
chemin* Je pense à ‘La Passante' de Baudelaire (tout à
l’heure Sagan et maintenant Baudelaire. Comme vous
pouvez le constater, j'ai des bonnes connaissances en
littérature !!!)* Je marche moins vite parce que j'essaie
de me souvenir du poème O toi que j’eusse aimée, ô toi 15
qui le savais.
Et pendant ce temps, je sens un regard dans mon dos.
J’étais prête à traverser la rue quand j'entends une voix :
- Pardon* * *
Je me retourne* Oh, mais qui est là ? C’est mon beau 20
jeune homme*
- Accepteriez-vous de dîner avec moi ce soir ?
Dans ma tête, je pense « Comme c'est roman
tique*** » mais je réponds :
- C'est un peu rapide, non 1 25
Françoise Sagan, écrivaine française ( 1935-2004)
croiser qn, passer à côté de quelqu’un dans la direction opposée
Charles Baudelaire, poète français (1821-1867)
traverser, aller de l’autre côté
7
- Oui, c’est vrai. Mais je vous ai regardée partir et
je me suis dit : C’est trop bête, voilà une femme que je
croise dans la rue, je lui souris, elle me sourit et nous
allons nous perdre.
5 - ...
- Qu’est-ce que vous en pensez ? Vous trouvez cela
idiot ?
- Non, non pas du tout.
- Alors ? Ici, ce soir, à neuf heures ?
10 Bon, ma fille, si tu dois dîner avec tous les hommes
qui te sourient, alors tu vas avoir beaucoup à faire.
- Donnez-moi une seule raison d’accepter votre in
vitation.
- Une seule raison... mon Dieu... c’est difficile...
15 Je le regarde et il me prend la main.
- Je crois que j’ai trouvé une bonne raison...
Il passe ma main sur sa joue pas rasée.
- Dites oui et je me rase. Je crois que je suis beau
coup mieux quand je suis rasé.
20 - Oui, dis-je.
Nous nous quittons. Cette fois, c’est moi qui le re
garde partir. Je suis sûre qu’il est content de lui.
En fin d’après-midi, je suis un peu nerveuse. Je tra
vaille, je réponds au téléphone, et j’envoie des fax. Res-
25 pire, ma fille, respire...
Il y a moins de voitures sur le boulevard. On rentre
les tables des cafés, des gens s’attendent sur la place de
l’église, d’autres font la queue au cinéma Beauregard
pour voir le dernier film de Woody Allen.
| rasé(e), quand les poils du visage sont coupés très courts
8
Je ne veux pas arriver la première* Non* Je veux arri
ver un peu en retard* C’est mieux*
Je vais prendre un verre pour me préparer, ça va me
faire du bien* Pas aux Deux-Magots ; le soir, il n y a
que des touristes américaines à la recherche de l’esprit 5
de Simone de Beauvoir* Je vais rue Saint-Benoît* Le
Chiquito, c’est parfait*
J’entre et tout de suite : Y odeur de la bière et celle
du tabac froid, le bruit du flipper, la course nocturne de
Vincennes et quelques vieux habitués* J’ai de longues 10
jambes et je porte une jupe courte* Je vois des clients
me regarder et rire entre eux* Je fume une cigarette* Je
sais maintenant que c’est Beautiful Day qui a gagné la
course*
Je me dis que je pourrais passer la soirée dans ce café* Je 15
serais bien* * * Mais vous êtes là derrière mon dos et vous
espérez l’amour, alors je ne vais pas vous abandonner.
Il est là au coin de la rue des Saint-Pères, il m’attend,
il me voit, il vient vers moi.
- J’ai eu peur* J’ai cru que vous ne viendriez pas* 20
- Je suis désolée* J’attendais le résultat de la course
nocturne de Vincennes* Je n’ai pas vu le temps passer*
- Qui a gagné ?
- Vous jouez ?
- Non. 25
- C’est Beautiful Day qui a gagné*
Simone de Beauvoir, écrivaine française (1908-1986)
une odeur, tu la sens avec ton nez
le flipper, un petit billard électrique
la course, ici : la course de chevaux
nocturne, qui se passe le soir ou la nuit
9
- Évidemment.
Il sourit et prend mon bras.
Nous avons marché jusqu’à la rue Saint-Jacques. Il me
regardait de temps en temps. Je sais qu’il se demandait
5 si je portais un collant ou des bas. Patience, patience...
- Je vais vous emmener dans un restaurant que
j’aime bien.
J’imagine le restaurant avec les serveurs qui lui sou
rient et lui demandent : « Bonsoir monsieur... (voilà la
10 dernière... j’aimais mieux la brune de la dernière fois).
la petite table du fond comme d’habitude, monsieur ? »
Nous sommes entrés dans un petit restaurant et le
serveur nous a juste demandé si nous fumions. C’est
tout. Nous avons bu du très bon vin et nous avons man-
15 gé des choses délicieuses.
L’homme en face de moi porte un pull gris en laine.
Certainement un cadeau de sa mère pour ses vingt ans.
Il parle de beaucoup de choses mais jamais de lui. Il me
le bas, voir ill. p. 11
délicieux (-se), très bon
la laine, provient du poil du mouton
10
dit : « Et vous ? » et je ne lui parle jamais de moi non
plus. Il pose sa main sur la mienne et la retire soudain
parce que les desserts arrivent.
Nous sommes émus.
C’est horrible. Son téléphone portable sonne. Tous 5
les gens du restaurant le regardent. Il l’éteint aussitôt. Il
est confus. Il me regarde :
- Je suis désolé.
- Ce n’est pas grave. On n’est pas au cinéma.
Après le dessert, mon prince charmant est venu s’as- 10
seoir à côté de moi. Si près que maintenant il sait que je
porte des bas. Il a senti la petite agrafe en haut de mes
cuisses.
Il soulève mes cheveux et m’embrasse dans la nuque.
Je l’embrasse sur la joue. 15
Les cafés, l’addition, le pourboire, nos manteaux. Dé
tails, détails, détails. Nous ne pouvons plus attendre...
une cuisse
une agrafe
un bas
émus, très touchés, au bord des larmes
confus(e), gêné, embarrassé
le pourboire, l’argent qu’un client donne au personnel d’un café ou
d’un restaurant quand il a reçu un bon service
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Il me donne mon manteau et là.*, très discrètement,
il regarde les messages sur son portable.
Hypocrite ! Qu’est-ce que tu as fait là ? A quoi
pensais-tu quand tu regardais mes épaules ? Qu’est-
5 ce qui était si important ? Ne pouvais-tu pas me faire
l’amour d’abord et attendre pour prendre ton portable ?
Dans la rue, j’ai froid et je suis fatiguée. Je lui dis que
je veux prendre un taxi.
Il est affolé.
10 Avant que je monte dans un taxi, il me dit :
- Mais... on va se revoir, n’est-ce pas ? Je ne sais pas
où vous habitez...
Il prend un morceau de papier et écrit des chiffres.
- Tenez, c’est mon portable où vous pouvez me
15 joindre n’importe quand...
Ça, je sais.
- D’accord ? Je vous attends.
Quand je rentre chez moi, je suis en colère. Je déteste
les téléphones portables, je déteste Sagan et je déteste
20 Baudelaire. Je déteste mon orgueil
les messages (mpl), les SMS
un hypocrite, il cache ses vrais sentiments et ses pensées pour plaire
affolé (e), très troublé
joindre, entrer en contact avec quelqu’un
r orgueil (m), quand on est très ber de soi-même
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