Table Of ContentCOLLECTION D'ÉTUDES ANCIENNES
publiée sous le patronage de /'ASSOCIATION OUILLA UME BUDÉ
·GALIEN
DE PERGAME
Souvenirs
d'un médecin
Textes traduits du grec et présentés
par
Paul MORAUX
Ouvrage publié avec le concours
du Centre National des Lettres
SOCIÉTÉ D'ÉDITION « LES BELLES LETTRES »
95, BOULEVARD RASPAIL, 75006 PARIS
1985
AVANT-PROPOS
Les « Souvenirs de Galien·» qu'on lira ci-dessous sont rigou
reusement authentiques : ils ont été extraits des ouvrages du
grand médecin. Celui-ci évoque, à l'occasion, de nombreux épi
sodes de sa vie et de sa carrière, qui furent assez mouvemen
tées. Il était impossible de les présenter ici dans un ordre stric
tement chronologique, car Galien parle souvent, dans un seul
et même passage, d'événements qui se situent à divers moments
de son existence. J'ai tenté, pourtant, de les grouper sous quel
ques grandes rubriques, en tenant compte surtout des faits
principaux qui nous y sont rapportés. J'y ai ajouté quelques
notes explicatives qui aideront à mieux situer les personnages et
les choses dont il est question. Ces notes n'ont pas la préten
tion d'être exhaustives. Ainsi, les minéraux et les plantes dont
parle notre auteur n'ont fait l'objet que d'indications très som
maires. Je ne me suis pas attaché non plus à reproduire les for
mules des compositions pharmaceutiques qu'il mentionne. Les
spécialistes de ces questions voudront bien m'en excuser.
J'espère aussi que les médecins qui viendront à lire ces pages
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation pardonneront au profane que je suis de ne pas me prononcer
réservés pour tous les pays.
sur certains « cas » dont il est question, et d'user. de termes qui
© Société d'Édition Les Belles Lettres, Paris, 1985
ne sont sans doute pas toujours ceux qu'emploieraient
ISBN: 2-251-32627-8
ISSN: 0184-7112 aujourd'hui les disciples d'Esculape. A ce propos, le Dr Grmek
8 AVANT-PROPOS
a bien voulu me communiquer d'importantes mises au point et
corriger ainsi plusieurs de mes inexactitudes. Comme mon
ouvrage était déjà composé quand il l'a fait, je n'ai pu incor
porer ses remarques à mon texte ; je les ai groupées dans lès
Addenda qui ont trouvé place à la fin du volume. Enfin, il
m'a paru utile de présenter au lecteur, dans de brèves notices,
les traités de Galien d'où ont été extraits les témoignages auto
biographiques que j'ai retenus.
P.M.
INTRODUCTION
Dans l'histoire de la médecine antique, les deux plus grands
noms sont ceux d'Hippocrate et de Galien. On ne saurait pour
tant les mettre tout à fait sur le même pied. Les nombreux
traités traditionnellement attribués à Hippocrate forment en
réalité une collection composite, dont les pièces diffèrent pro
fondément. les unes des autres. Les écrits hippocratiques ne
peuvent être attribués à un seul homme, ni même à une seule
école, celle d'Hippocrate et de ses descendants. Leur étude
montre qu'ils répondent à des préoccupations très diverses,
qu'ils partent de conceptions fondamentales divergentes, pour
ne pas dire opposées parfois les unes aux autres, et enfin qu'ils
n'ont pas tous vu le jour à la même époque. Si rien ne
s'oppose à ce que certains remontent à l'époque d'Hippocrate,
nous sommes forcés d'admettre pour d'autres une origine sen
siblement plus tardive. Bref, le corpus hippocratique nous
apparaît comme très disparate, et la critique moderne n'a pas
fini de démêler toutes les pièces de ce curieux puzzle.
Avec Galien, la situation est tout à fait différente. En dépit
de ses dimensions imposantes, le corpus galénique est, dans sa
presque totalité, l'œuvre d'un seul homme, Galien lui-même. Il
est bien arrivé, à l'occasion, que tel ou tel ouvrage d'origine
étrangère se fourvoie parmi les traités authentiques ; certains
•
10 INTRODUCTION INTRODUCTION 11
faux de la Renaissance ont même trouvé place dans l'un ou liarisera avec l'œuvre scientifique de Galien et verra que
l'autre manuscrit et nous ont été transmis sous le nom de celui-ci s'est intéressé à la connaissance de l'homme sous tous
Galien. Mais cela n'est pas bien grave. Dans la plupart des cas, ses aspects : il nous a laissé, dans ses écrits, la somme du
l'inauthenticité des écrits en cause saute aux yeux et ne pose savoir de son temps sur la maladie et l'art de guérir, avec une
pour ainsi dire aucun problème. Non seulement nous avons la quantité extraordinaire d'enrichissements personnels.
certitude que, dans leur immense majorité, les ouvrages trans L'étonnante carrière scientifique de Galien n'aurait peut-être
mis sous le nom de Gali_ens ont bien de lui, mais nous sommes pas été possible s'il n'avait eu la chance de naitre à Pergame et
même en mesure de déterminer -à· quelle époque de sa carrière d'être le fils d'un homme riche, qui plaçait_p lus haut que tout
ils remontent et dans quel ordre ils ont été composés. Il y a les valeurs intellectuelles et la droiture morale. Quand Galien
peu d'auteurs ancièns, en fait, dont la biographie nous soit vit le jour, Pergame était sans contredit l'un des hauts-lieux
aussi bien connue que celle de Galien. C'est que, même dans scientifiques, littéraires et ârtistiques du monde gréco-romain.
ses ouvrages les plus spécialisés, il nous parle très volontiers de Curieuse destinée que celle du royaume auquel la ville donna
lui-même. Il relate avec complaisance ses succès médicaux, bien son nom ! Après la conquête par Alexandre le Grand, un de
sûr, et on le sent tout fier de proclamer qu'il a réussi là où ses généraux, Lysimaque, avait déposé son trésor à Pergame et
d'autres auraient peut-être échoué. Mais à côté de cela, il en avait confié la garde à son lieutenant Philétairos. Peu· scru
abandonne parfois le ton austère du savant pour faire part au puleux, Philétairos utilisa l'àrgent à ses propres fins. Après sa
lecteur d'expériences qu'il a vécues et raconter mille et une mort, Pergame devient indépendant'. Attale I (241"197 av.
aventtrres auxquelles il s'est trouvé mêlé. J.-C.) fut le premier à prendre le titre de roi de Pergame. Fen
En lisant Galien, je me suis attaché à rassembler les indica dant deux siècles et demi, les rois de Pergame agrandirent leur
tians autobiographiques éparses dans son œuvre. C'est elles territoire, surtout aux dépens du royaume de Syrie, et grâ.se â
<jue je présente ici au lecteur, dans une traduction française qui une habile politique d'alliances, qui leur valut la sympathie et
s'efforce de respecter, autant que possible, le texte grec origi• l'appui de Rome./Scius Eumène II (197-159) fut fondée une
na!. Pour rester dans d'honnêtes limites, j'ai dû faire un choix. grande bibliothèque, rivale de celle d'Alexandrie, et qui, à son
Ma préoccupation principale a été de retrouver, derrière le apogée, ne contenait pas moins de 200 000 volumes. C'était un
savant, l'homme que fut Galien. J'ai donc laissé de côté, en lieu de travail idéal pour gens de lettres et savants. Pergame
principe, les indications relatives à ses découvertes anatomiques eut ses philologues, des philologues que souvent leurs concep-.
ou médicales, aux controverses scientifiques, orales ou écrites, lions et leurs méthodes de travail opposaient à leurs rivaux
qui l'ont fréquemment opposé à certains collègues. Les témoi d'Alexandrie. Pergame eut ses savants. Comme nous le verron8'
gnages que j'ai retenus paraitront très disparates, d'autant plus dans un instant, le grand .centre hospitalier que fut l' Asclë
qu'ils sont tirés d'Quvrages fort différents, et que le contexte pieion devint vite un pôle d'attraction pour les sommités du·
dans lequel ils apparaissent n'a pu être évoqué ici que de monde médical d'alors. Enfin, Pergame eut ses artistes. Nous
manière assez sommaire. Dans la mesure du possible, je les ai n'avons pas à retracer ici l'histoire de l'art pergaménien, ni à
groupés d'après les périodes de la vie de Galien auxquelles ils donner la liste des splendides monuments qu'ont révélés les
se rapportent, et non dans l'ordre chronologique de la compo trouvailles archéologiques. Le gigantesque autel de Zeus, édifié
sition des ouvrages où ils figurent. Ces derniers ont fait l'objet au 11•s iècle avant notre ère et abrité aujourd'hui par le Musée
de petites notices séparées. J'espère que, grâc0-cà elles, le lec de Pergame à Berlin-Est, constitue, avec ses frises monumenta
teur pourra se faire une idée du cadre dans lequel se situe cha les, une des réalisations les plus étonnantes et les plus admira
cun des « souvenirs » en question. En même temps, il se fami- bles de l'art hellénistique. Le dernier souverain de Pergame,
INTRODUCTION
Attale II, céda par testament son royaume à ses amis les
Romains (133 av. J.-C.). Intêgrée à l'empire (province d'Asie),
, la ville n'en resta pas moins fidèle, pendant des siècles, aux
traditions qui avaient fait sa grandeur. Sous les Antoirins
(II• siècle après J.-C.), c'est-à-dire précisément à l'époque où
vécut Galien, Pergame dut connaître une prospérité extraordi
naire. La ville comptait quelque 120 000 habitants. De tous les
coins de l'empire, des personnages riches et influents venaient
se faire soigner au sanctuaire d' Asclépios. Certains se mon
traient généreux et offraient au dieu de magirifiques monu
ments, témoignages de leur piété ou de leur reconnaissance.
Nous savons, par exemple, et notamment grâce au témoignage
de Galien, qu'à l'époque où celui-ci en était encore à ses
débuts dans l'étude de la médecine (donc entre 145 et 149), un
certain Costuirius Rufinus fit présent au sanctuaire d'un temple
somptueux, dédié à Zeus-Asclépios.
Depuis des siècles, Pergame était un haut-lieu de la méde
cine. La ville possédait un complexe hospitalier très remarqua
ble, placé, bien entendu, sous le patronage du dieu Asclépios.
En fait, à peu près tous les grands centres médicaux du monde
antique - Épidaure, Cos, Athènes et Pergame - se trouvaient
intimement liés au culte de ce dieu guérisseur. D'après une
ancienne tradition, le culte d' Asclépios à Pergame et, par là
même, la vocation médicale de la ville, auraient été, pour ainsi
dire, importés d'Épidaure. Û!J. raconte qu'un jour, un Perga
méirien nommé Ar chias fut victime d'un accident de chasse
dans les montagnes du nord de la ville. Il se rendit à Épidaure
pour s'y faire soigner, et en revint bien portant. En reconnais
sance, il décida d'introduire à Pergame le culte du dieu Asclé
pios, qui l'avait si bien guéri. L'histoire est sans doute vraie, et
elle remonte à l'époque classique. Il se trouve, en effet, que le
culte d'Asclépios à Pergame, une fondation privée à l'origine,
fut élevé assez tôt au rang de culte d'État. Les monnaies per
gaméiriennes représentant le dieu apparaissent dans la première
moitié du 11• siècle avant J .-C. Dès avant l'époque de Galien,
l' Asclépieion était le sanctuaire le plus important de Pergame.
Il se trouvait hors les murs, au sud-ouest de la ville propre
ment dite. C'était à la fois un lieu du culte et un centre médi-
PLAN DE L'ASCLEPIEION
(Extrait de la Carte topographique de Pergame publiée par
l'Institut Archéologique Allemand.)
1. Vo ie sacrée
2. Cour des propylées
3. Propylées
4. Bibliothèque
5. Temple de Zeus-Asclépios
6. Citerne
7. Bâtiment de cure
8. Tunnel (cryptoportique)
9. Fontaine sacrée
10. Bâtiment d'incubation
11. Fontaine dans le roc
12. Temple d' Asclépios-Soter
13. Piscine
14. Portique Nord
15. Théâtre
16. Portique Ouest
17. Portique hellénistique (gymnase ?)
18. Salle du Portique Ouest
19. Latrines
20. Portique Sud
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INTRODUCTION 13
cal renommé. Les constructions qu'ont révélées les fouilles et
qui valurent au sanctuaire d'être considéré comme l'une des
merveilles du monde, semblent avoir atteint leur plus grand
développement vers le milieu du second siècle de notre ère, pré
cisément à l'époque où Galien commençait ses études. Une
somptueuse avenue, large de près de 20 mètres dans sa dernière
partie et bordée de colonnades, reliait la ville basse à l' Asclé
pieion. Par des propylées, on accédait à une vaste cour rectan
gulaire, de 100 x 130 m, entourée de portiques et de bâtiments
divers.
Il y avait là le temple de Zeus-Asclépios, qui, avec sa cou
pole de 23 m de diamètre, apparaissait comme un réplique en
plus petit du Panthéon de Rome. A côté de ce temple se dres
sait un autre bâtiment rond, à deux étages, de 60 m de diamè
tre extérieur, et qui semble bien avoir été le principal établisse
ment de cure. Du sous-sol cle.œ bâtiment partait un long cou
loir souterrain menant à la ·source sacrée qui se trouvait au
milieu de la grande cour. Cette source débitait une eau légère,
de bon goût, peut-être radioactive, et qui, en tout cas, passait
pour avoir des vertus curatives remarquables. Elle avait été
aménagée en fontaine avec un bassin de marbre de 7 m de
long, en contre-bas du sol. On y descendait par un escalier de
6 marches. Au nord-ouest de la grande cour, un théâtre
romain pouvait donner place à 3 500 spectateurs. Deux autres
bâtiments plus petits abritaient des installations servant aux
bains et aux cures d'eau. Il y avait également des dortoirs pour
les malades, une bibliothèque, un gymnase, etc. Le rhéteur
Aelius Aristide, que la maladie contraignit à passer de nom
breuses années en cure à Pergame, a été vivement impressionné
par le luxe et le confort de l' Asclépieion. Celui-ci, écrit-il, est
un « foyer commun à l'humanité entière ; il n'a pas son égal
sous le soleil ».
Comme on peut s'y attendre, Pergame attirait non seulement
une foule énorme de malades, mais aussi de nombreux méde
cins. Selon la coutume du temps, il y avait, à côté des méde
cins à demeure, une certaine quantité de praticiens itinérants,
qui passaient là quelques mois ou quelques années, non seule
ment pour y donner leurs soins aux malades, mais pour y faire
14 INTRODUCTION INTRODUCTION 15
des conférences et y communiquer leur science à la jeunesse
médecin semblent s'être passionnés pour cette science. Archi
studieuse. Aussi bien, quand le père de Galien orienta son fils
, <-<tecte de son métier - sans doute dirions-nous aujourd'hui
vers les études médicales, celui-ci trouva-t-il dans sa ville natale :, "~>ingénieur des constructions civiles - Nicon 1 le père de Galien,
,
plusieurs maîtres réputés, chez qui il reçut une excellente for ·.' se devait naturellement d'être un excellent mathématicien.
mation de base avant d'aller se perfectionner ailleurs.
>,Mênie les questions d'astronomie lui étaient familières. Il trans
Les offrandes faites au dieu par les malades en remerciement
'.·•\ mit à son fils sa propre admiration pour la rigueur des
de leur guérison, ainsi que divers témoignages littéraires, sur , , démonstrations mathématiques et la solidité des résultats acquis
tout les abondants souvenirs personnels du rhéteur Aelius Aris :? : par cette voie. Durant toute sa carrière, Galien ne cessera de
tide, nous montrent qu'on soignait à Pergame à peu près tou considérer la « démonstration linéaire », c'est-à-dire la démons
/i
tes les maladies, depuis les ophtalmies jusqu'aux maladies de ·,•fration géométrique, comme le type même de la démonstration
poitrine, aux rhumatismes, à la paralysie et même à l'épilepsie, '·" '::scientifique parfaite. Il avoue que les erreurs, les inconséquen
sans parler des accidents divers. Les médecins disposaient, bien :_,~ es et les contradictions des philosophes l'auraient mené tout
sûr, d'une foule de médicaments plus ou moins compliqués et \î~~iatu scepticisme, si la géométrie ne l'en avait préservé, en
plus ou moins efficaces. Ils pratiquaient très volontiers la sai · ltiif aisant voir qu'une démonstration sans failles conduit à des
g~ée et la purgation. En outre, l'eau de la source sacrée, qui ' ,résultats que personne ne peut mettre en doute.
avait contribué à faire la réputation de Pergame, passait pour :''-chez le père de Galien, le 'culte de la démarche rationnelle
avoir des vertus curatives merveilleuses. Les malades en · hllait de pair avec un mépris profond pour toute espèce de sec
buvaient et s'y baignaient souvent au cours de leur séjour à •.i àrisme. N'adhérer en principe à aucune école. Apprendre à les
I' Asclépieion. Pourtant, la médecine pergaménienne n'était pas :,.' êOnnaître toutes. Les comparer, et apprécier par soi-même, en
une simple médecine laïque. De ce point de vue, l' Asclépieion ,,_•_ , t6'ute objectivité, la vérité ou l'erreur de leurs thèses. N'accep
ne saurait se comparer à un hôpital moderne ou à un établisse -· -- · f~i'que les-propositions vraies, et rejeter les aùtres. Telle était,
ment d'hydrothérapie. La médecine qui s'y pratiquait restait, -. f '::Ji-quelques mots, l'attitude intellectuelle qu'il recommandait à
pour une bonne part, fidèle à ses origines religieuses. C'est au
-,S•y"·
dieu lui-même qu'il revenait de donner les conseils médicaux j~\;_-\··1. Galien ne mentioDDen ulle part le nom_d e son père. D'après deux témoi
les plus sûrs et ainsi de guérir le patient. Comme le confirment _:,C_,__-/: ·_~es très tardifs (Suda, s.v. Galenos, et Tzetzès, Chiliades Xll, 8 ss.),
J,-._:f~__.: ":-:_celsuei -csie rait appelé Nicon. Or plusieurs inscriptions pergaméniennes, de
les récits autobiographiques de l'un des « curistes » les plus ;J,}--'L. '_~poqude' Hadrien ou un· peu postérieures, nous font connaître deux person
célèbres, Aelius Aristide, le malade devait s'endormir dans .,,._I l.aies de ce nom, qui furent l'un et l'autre architectes. L'une nous apprend
·_Que·JulioNs icodemos, appelé aussi Nicon le Jeune, avait, à ses frais, aménagé
l'enceinte sacrée : c'est le rite appelé incubation. Souvent,
·-1e:portiqued u marché de Pergame. Nous avons en outre conservé la brève ins
alors, le dieu lui apparaissait en songe et lui donnait ses con çription honorifique qui figurait sans doute sur le tombeau de ce même Nicon.
··,o•après d'autres inscriptions, Allias Nicon avait fait ériger la statue d'un
seils sur le traitement à suivre. ,: « :joyeux satyre » ; il avait composé, en l'honneur du dieu Soleil, un poème en
Voilà, en quelques mots, ce qu'était la ville où Galien naquit - ·:1+t"-- ':=t:Ï:im.èiatrmebs iques ; c'est sans doute à lui, et non à Julios, qu'est due une
:·•Jriilgllein scription célébrant notamment le cône, le cylindre, la sphère et
et passa ses vingt premières années. Si un tel cadre ne pouvait --:.;_--:1~ ·;;;,:·.l'admirsatrbulec ture de l'univers. Toutes ces inscriptions proviennent du même
qu'être favorable à l'éclosion et à l'épanouissement des talents )-.~(· •'~eu, probablement de la même famille ; en effet, elles présentent une
.:?t~,·--.-éurieuspea rticularité: elles sont « isopséphiques », c'est-à-dire que si l'on
du jeune homme, le milieu familial qui fut le sien exerça, lui .:}i_<}_:--_}dào ncnhea que lettre sa valeur numérale et qu'on additionne les chiffres ainsi
·/.f -';:~-:
aussi, une influence décisive sur le choix de sa profession et les obt_enusl, a somme est identique pour chacune des lignes. On sait, par Galien
·~1i'_'_
:-lui-même, l'intérêt que. l'architecte son père portait à l'arithmétique, à la géo
orientations fondamentales de sa pensée. Depuis des généra _(Iif'-·,:-métrieet â la cosmographie. Il est donc très probable que-l'un des deux per
tions, les Galien avaient le goût des mathématiques. L'arrière '}~'.t(' S_onnagesc onnus par ces inscriptions n'était autre que le père de Galien.
-~é/,·E_t ait-ce Julios ou Ailios? Il est :impossibled e trancher la question. Voir à ce
grand-père, puis le grand-père et enfin et surtout le père du if-~:'p:r_o;p:o's H. Diller, art. Nikon 18, dans RE XVII 1 (1936).
,;.-.~1r;
,,.i);:" _,-'
~-,:.t~'-':"
16 INTRODUCTION INTRODUCTION 17
son fils. C'est dans cet esprit qu'il rechercha, pour enseigner la génitale qu'à un besoin profond de mettre en lumière ses pro
philosophie au jeune homme, des représentants de chacune des pres mérites en rabaissant ceux des autres.
g\andes écoles du temps, un plat.onicien, un péripatéticien, un Galien vit Je jour dans l'été 129. Il avait quatorze ou quinze
stoïcien et même un épicurien. Tout au long de sa vie, Galien ans quand son père décida de lui faire apprendre la philoso
lui-même affirmera n'être l'adepte d'aucune école. En philoso phie. Sans doute Nicon ne voulait-il pas que son fils devînt
phie comme en médecine, il n'adoptera, d'où qu'elles viennent, philosophe de profession, mais estimait-il qu'une bonne forma
que les thèses qu'il pouvait vérifier expérimentalement ou qui tion philosophique devait faire partie du bagage intellectuel
découlaient d'un raisonnement parfaitement correct. d'un homme cultivé. Il y avait, à Pergame même, assez de phi
losophes de toutes les tendances pour que Galien pût s'initier
De son père, Galien nous apprend aussi qu'il était d'une
aux doctrines des diverses écoles sans devoir quitter sa ville. La
grande honnêteté. Il savait se dominer, ne se laisser jamais
philosophie le passionna. Loin d'accepter, en auditeur passif,
emporter par la colère ou abattre par la tristesse. Mais ce qui
tout ce qu'on lui enseignait, Je jeune garçon interrogeait, soule
nous frappe le plus chez cet homme admirable, c'est la tendre
vait des difficultés, critiquait, mettait parfois ses maîtres à
sollicitude avec laquelle il veille sur son. jeune fils. Le devinant
l'embarras. Supérieurement doué, il était, alors déjà, un vérita
sans doute un peu délicat de santé, il conçoit pour lui une ali
ble bourreau de travail. II était tout jeune encore quand, pour
mentation bien réglée. Quand, avec une insouciance juvéitlle,
ne rien perdre de l'enseignement qu'il avait reçu et tenter
Galien commet quelques écarts à ce régime et tombe malade,
même de le dépasser, il rédigea, pour lui-même, « à titre
son père revient précipitamment de la campagne où il était,
d'exercice », comme il Je dit, un nombre impressionnant de
pour être, comme une véritable mère, au chevet de son fils en
commentaires à des écrits d'Aristote, ainsi que d'autres essais
danger. Quand Galien est en âge de commencer ses études de
philosophiques. De ces ouvrages de jeunesse, nous n'avons
philosophie, son père tient à l'accompagner personnellement
conservé que de menus fragments, et c'est fort dommage, car
chez chacun des maîtres qu'il lui destine ; sans doute assiste-t-il
ils nous auraient certainement fourni une ïnformation précieuse
aussi à quelques leçons, pour juger à la fois de la qualité de
sur ce qu'était l'enseignement de la philosophie vers le milieu
l'enseignement et de la valeur morale du maître.
du second siècle de notre ère.
·n
La science de son père, la noblesse de son caractère, la solli Une nuit, Nicon eut un songe prémonitoire curieux, d'où
citude avec laquelle il a veillé sur son fils, Galien leur a plus découlait que le jeune .Galien devait devenir médecin. Peut-être
d'une fois rendu un hommage bien mérité. En revanche, il le message onirique se répéta-t-il. En tout cas, Nicon le tint
parle peu de sa mère, et le fait sans enthousiasme. C'était une· pour très clair et agit en conséquence. A dix-sept ans, Galien
impulsive aux réactions imprévisibles, acariâtre, colérique, tou commençait sa médecine, à Pergame même, sans abandonner
jours prête à gourmander son mari, me~ant la vie durè à ses pour autant ses études de philosophie. Le jeune homme, avide
servantes, se laissant facilement abattre par les désagréments de savoir, redoubla d'activité. En dépit d'une santé plutôt déli
les plus anodins. Pour Nicon et son fils, la vie à ses côtés cate, il travaillait tout le jour et souvent même la nuit. Il était
n'était pas rose tous les jours. Certains auteurs ont soupçonné encore étudiant et n'avait pas vingt ans quand il écrivit ses pre
que le goût passionné de la polémique était, chez Galien, un miers ouvrages médicaux. Il ne s'agissait pas, bien sûr, de trai
trait de caractère hérité de sa mère. C'est sans doute pousser tés destinés à la publication, mais de petits aide-mémoire dont
les choses un peu loin. La polémique faisait, à l'époque, partie avaient besoin des connaissances qui, sans doute, ne dispo
intégrante de la littérature scientifique. Chez Galien, nous saient pas d'une bibliothèque scientifique ou n'avaient ni Je
avons l'impression qu'elle répond moins à une agressivité con- temps ni la compétence requise pour lire des ouvrages spéciali-
INTRODUCTION INTRODUCTION 19
sés. Outre unejlnatomie de la matrice, destinée à une accou par le grand-prêtre comme médecin officiel chargé de donner
cheuse, et un Diagnostic des troubles oculaires, écrit à l'inten ses soins aux gladiateurs. Nous ignorons quelles raisons déter
tion· d'un jeune oculiste, il avait rédigé une sorte de procès minèrent ce choix. La réputation du jeune et brillant médecin
verbal d'une discussion entre deux médecins de tendances l'avait-elle précédé à Pergame ? Avait-il eu, depuis son retour,
opposées, un empiriste et un rationaliste. l'occasion de se faire un peu de clientèle privée et de mettre
Comme son père s'était retiré à la campagne, Galien étudiant ainsi ses talents en lumière ? Dut-il sa nomination aux relations
abusa de son indépendance. Loin de la surveillance paternelle, influentes que sa famille conservait dans la ville ? Nous n'en
il se laissa aller, entraîné par des camarades, à des excès ali savons rien. Quoi qu'il en soit, le poste semble avoir été confié
mentaires qui faillirent lui être funestes. Ayant abusé de fruits d'habitude à des médecins plus âgés et plus expérimentés, car
verts, il fut atteint de troubles intestinaux qui, pendant dix ans, Galien souligne qu'à 28 ans, il était bien jeune encore pour
récidivèrent d'année en année et dont il ne put se débarrasser l'occuper. Entré en fonction vers le 23 septembre 157, Galien
qu'à l'âge de 25 ans. se vit confirmé ·p lusieurs années de suite dans sa charge ; il
Veuf depuis plusieurs années sans doute, Nicon mourut alors consacra ainsi au moins 4 ans à la médecine sportive. C'est
que son fils avait 20 ans. Plus rien ne retenait Galien à Per probablement à la fin de l'été 161 qu'il y renonça. Traumatis
game. Comme son père lui avait légué une fortune assez consi mes, blessures et fractures comptaient parmi les accidents qui
dérable, il lui était facile d'aller poursuivre ses études à l'étran survenaient le plus fréquemment aux gladiateurs. Aussi bien
ger. Il se rendit tout d'abord à Smyrne, pour y retrouver ces quatre années perniirent-elles à Galien d'acquérir une
Pélops, qui avait été l'un de ses professeurs de médecine à Per grande expérience en chirurgie. Il souligne avec fierté qu'il par
game, mais aussi pour s'y perfectionner en philosophie, notam vint à réduire considérablement le nombre des décès chez les
ment chez le platonicien Albinos. Là encore, il continua gladiateurs blessés. Pourtant plus tard, une fois installé à
d'écrire, surtout pour fixer les traces de l'enseignement qu'il Rome, il préféra s'en remettre aux spécialistes pour les opéra
recevait. Dans un ouvrage en trois livres (qui n'est point passé tions chirurgicales.
à la postérité), il rapportait les théories de son maître Pélops Avant de partir une première fois pour Rome, vers le milieu
sur le mouvement du thorax et du poumon. Puis il séjourna de l'année 162, Galien passa près d'un an encore dans sa ville
quelque temps à Corinthe, où il suivit les cours de l'anatomiste natale. Y ouvrit-il un cabinet ? Ou est-ce alors qu'il entreprit
Numésianos. Enfin il passa plusieurs années à Alexandrie, la certains des voyages de prospection scientifique dont il nous
véritable capitale du monde savant d'alors. Là plus que partout parle sans en donner la date exacte ? Nous savons, par exem
ailleurs au monde, les jeunes médecins pouvaient se spécialiser ple, qu'il visita la côte lycienne en cabotant avec une petite
dans l'étude de l'anatomie. Galien venait d'avoir 28 ans lors · embarcation qu'il avait louée. On peut supposer qu'il le fit
que, à la fin de l'été 157, il prit congé d'Alexandrie pour ren pendant son voyage d_e retour d'Alexandrie à Pergame. Il se
trer dans sa ville natale. Il avait donc consacré plus de dix ans rendit également en Palestine, sur la rive orientale de la Mer
à sa formation médicale. D'ordinaire, les futurs médecins pas Morte, d'où il rapporta certaines pierres aux propriétés curieu
saient beaucoup moins de temps à l'apprentissage de leur pro ses. Un autre voyage le conduisit à Chypre, d'où il rapporta
fession. Mais Galien était riche, il avait tout le temps néces différents types de minerai de cuivre. Enfin, il voulut se docu
saire et la soif d'apprendre l'emportait chez lui sur le désir de menter, à Lemnos même, s.ur la fameuse « terre lemnienne »,
gagner rapidement un peu d'argent. dont on faisait des cachets très appréciés dans les milieux médi
Il était à peine rentré de quelques jours ou de quelques caux. Une première tentative échoua. En se rendant à Rome, il
semaines à Pergame qu'il y fut, à sa grande surprise, choisi fit par bateau la traversée d'Alexandrie de Troade à Thessalo-
