David Lopez, Fief

12 Pages·2017·0.09 MB·French

by  Talya Chaumont

n° 627 – novembre 2017
la nouvelle
revue française
sous la direction de
michel crépu
GALLIMARD

la nouvelle revue française

n° 627 – novembre 2017
la nouvelle
revue française
sous la direction de
michel crépu
GALLIMARD
David Lopez, Fief
Le Seuil, 2017, 256 p., 17,50 €
Leur fief, c’est la zone mal définie et un peu crasseuse qu’on
traverse tout à fait par accident et sans grand entrain quand on
prend le TGV. À cheval entre la banlieue et la campagne, chez
eux « il y a trop de bitume pour qu’on soit de vrais campagnards,
mais aussi trop de verdure pour qu’on soit de vraies cailleras ».
Pas la peine de chercher si un RER passe dans le coin. En plus de
cet entre-deux géographique, la bande de Jonas flotte sociale-
ment : trop pauvre pour vivre dans les lotissements et trop classe
moyenne pour se revendiquer des cités. Ça pourrait être pire
pour Jonas, le narrateur dont on ne sait pas bien l’âge (celui de
ne plus vivre chez son père en tout cas) qui vivote grâce à sa car-
rière de boxeur amateur. Il pourrait viser plus haut, il lance le
meilleur jab (le fameux direct du bras avant) à des kilomètres à
la ronde mais il a d’autres projets. Traîner avec sa bande de potes
dont les surnoms sont déjà un gage d’enjaillement : Sucré, Untel,
Poto, Ixe. Rouler des joints, fumer, rouler encore. Jouer aux
cartes et éviter de perdre, c’est agaçant. Et puis il y a une fille des
lotissements qui n’est pas contre l’accueillir dans sa chambre de
temps en temps. Tout ça pour tromper l’ennui ? Lui et ses gars
n’en sont plus là, depuis longtemps. « L’ennui, c’est de la gestion.
Ça se construit. Ça se stimule. Il faut un certain sens de la
mesure. On a trouvé la parade, on s’amuse à se faire chier. » Pas
NOTES DE LECTURE 139
question pour le primo-romancier David Lopez d’opérer avec Fief
une chronique sociale aigre et désabusée. Mais notons tout de
même que pour ces jeunes qui ne le sont plus vraiment, coincés
dans un entrelacs de champs gris et de tours pas beaucoup plus
colorées, l’essentiel est de rester à leur place, « parce que de là où on
est on ne risque pas de tomber ». S’il y a un truc que le père de Jonas
lui a appris, c’est bien que « le seul chemin vers le bonheur c’est la
résignation ». Qu’en sort-il alors, de cette frustration tellement cor-
setée qu’elle n’arrive même pas à s’accompagner d’envie d’ailleurs ?
Le langage. Sa violence et sa vivacité, son champ des possibles.
C’est peut-être moins porteur qu’un bon PEL ou qu’un diplôme
mais ça aide quand même sacrément. Jonas et ses potes, quand ils
discutent, ce sont des punchlines toutes les deux phrases, des raps
improvisés, des axiomes tournés en dérision et de la poésie dans
chaque juron. C’est probablement ça d’ailleurs, leur véritable fief,
leur capacité à se réinventer constamment, à déjouer les coups bas
du quotidien en enchaînant les rimes. Parce que dans la vraie, de
vie, Jonas perd son dernier combat de boxe par K.-O.
Talya Chaumont

TABLE DES MATIÈRES
Éditorial
Michel Crépu, Lénine à la cafetière 5
La littérature aujourd’hui
Muriel Barbery, Les larmes de Marie 13
Iegor Gran, La masterclass d’Abraxas 24
Richard Morgiève, Le silence 32
Romain Puértolas, Moine à la journée 42
Gilles Ortlieb, Ângelo 53
Côme Martin-Karl, Entrer en action 64
La dernière mode
Eva Ionesco, Orange people 75
Entretien
Claude Perdriel, L’homme qui aimait faire des choses 83
Arts 93
Magali Lesauvage, Cézanne, portraits 95
Table des matières
La forme et le fond 101
Michel Crépu, Soljenitsyne, miniaturiste de la révolution 103
Alexandre Soljenitsyne, La roue rouge. Avril 17 106
Georges Nivat, Pourquoi la Russie ne peut pas commémorer
1917 119
Michel Parfenov, Octobre 1917, un cauchemar éveillé 128
Notes de lecture
Le presbytère, d’Ariane Monnier, par G. Flament 135
Climats de France, de Marie Richeux, par S. Cochet 136
Fief, de David Lopez, par T. Chaumont 138
La fin de Mame Baby, de Gaël Octavia, par R. Pasquier 139
De l’ardeur, de Justine Augier, par M. Crépu 140
Dans l’béton, d’Anne F. Garréta, par Bl. Cerquiglini 142
Leçons de danse, leçons de vie, de Wayne Byars,
par G. Flament 143
Rondes de nuit, d’Amaury Nauroy, par M. Crépu 145