Pwofitasyon: Luttes syndicales et anticolonialisme en Guadeloupe et en Martinique

320 Pages·2019·4.076 MB·French

by  Pierre Odin

Pwofitasyon
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Pierre Odin
Pwofitasyon
Luttes syndicales et anticolonialisme
en Guadeloupe et en Martinique
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Composé par Facompo à Lisieux
Dépôt légal : mai 2019
S
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ISBN 978‑2‑348‑04347‑5
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© Éditions La Découverte, Paris, 2019.
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À la mémoire de Jacques Bino,
syndicaliste guadeloupéen assassiné
dans la nuit du 17 au 18 février 2009.
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Glossaire des organisations
AGEC Association générale des étudiants caribéens
AGEG Association générale des étudiants guadeloupéens
AGEM Association générale des étudiants martiniquais
ARC Alliance révolutionnaire de la Caraïbe
CCEG Cercle culturel des étudiants guadeloupéens
CDMT C onfédération démocratique des travailleurs martini‑
quais
CFDT Confédération française démocratique du travail
CGT Confédération générale du travail
CGT-FSM Confédération générale du travail‑Fédération syndicale
mondiale
CGTG Confédération générale du travail de la Guadeloupe
CGTM Confédération générale du travail de la Martinique
CNPC Coordination nationale des comités populaires
CO Combat ouvrier
CREO Centre régional d’éducation ouvrière
CSTM Centrale syndicale des travailleurs martiniquais
CTU Centrale des travailleurs unis
FKNG F os pou konstuwi nasyon Gwadloup (Force pour la
construction de la nation guadeloupéenne)
FO Force ouvrière
FSU Fédération syndicale unitaire
GAP Groupes d’action prolétariens
GLA Groupe de libération armé
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GONG G roupement d’organisation nationale de la Guadeloupe
GRS Groupe Révolution socialiste
JAG Jeunesse d’avant‑garde
JOC Jeunesses ouvrières chrétiennes
K5F Kolectif 5‑Févrié
LC Ligue communiste
LCR Ligue communiste révolutionnaire
LKP Liyannaj kont pwofitasyon (Union contre l’exploitation
outrancière)
LO Lutte ouvrière
MIM Mouvement indépendantiste martiniquais
MODEMAS M ouvement des démocrates et écologistes pour une
Martinique souveraine
MPGI Mouvement pour une Guadeloupe indépendante
OJAM O rganisation de la jeunesse anticolonialiste de la
Martinique
PC Parti communiste
PCF Parti communiste français
PCG Parti communiste guadeloupéen
PCM Parti communiste martiniquais
PPM Parti progressiste martiniquais
UCI Union communiste internationaliste
UFM Union des femmes martiniquaises
UGTG Union générale des travailleurs de la Guadeloupe
UGTM Union générale des travailleurs martiniquais
UMP Union pour un mouvement populaire
UNSA Union nationale des syndicats autonomes
UPPG Union des paysans pauvres de la Guadeloupe
UPLG Union populaire pour la libération de la Guadeloupe
UTA Union des travailleurs agricoles
UTPP Union des travailleurs des produits pétroliers
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Prologue
« Mourir de faim avec tous les documents du monde, contrat de
travail, assurances, fiches de paye. Mourir de faim pour le “modèle
exportateur” et les rentrées de devises. À mesure que je recueillais
témoignages et données, la faim m’apparaissait avec une terrible
netteté comme la matière et le produit d’un dispositif compliqué
jusqu’au raffinement. La faim n’était pas une simple absence specta‑
culaire, presque accidentelle, d’aliments disponibles. Ce n’était pas
une faim simple, une faim primitive. C’était une faim élaborée, une
faim perfectionnée, une faim en plein essor, en un mot, une faim
moderne. […] On n’en avait jamais fini d’entrer dans le détail de
la production de cette faim. Des commerçants, des banquiers, des
armateurs, des chefs d’entreprise, des experts, des hommes d’affaires
y avaient leur part, et une armée d’intermédiaires, de courtiers et de
négociants. Et des bureaux d’études, des instituts de planification.
Et des généraux, des hommes politiques, des policiers, des adminis‑
trations entières. Et tous ces gens parvenaient à faire jaillir de cette
faim commissions, bénéfices, profits, rentes, loyers, dividendes… Oui,
vraiment, l’organisation minutieuse du développement de cette faim
m’apparaissait comme une chose prodigieuse 1. »
Dans son étude consacrée à l’exploitation que subissent les popula‑
tions noires des plantations sucrières du Nordeste brésilien, Robert
1. Robert Linhart, Le Sucre et la Faim : enquête dans les régions sucrières du Nordeste
brésilien, Éditions de Minuit, Paris, 2003 [première édition : 1981], p. 53‑54.
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Linhart, ancien militant de la Gauche prolétarienne, détaille avec
acuité et précision l’articulation qui lie le mécanisme de l’échange
marchand inégal avec la production d’une faim de masse. Avec lui,
nous progressons au travers des méandres de ce marché « hanté », de
sa perfection logistique et de son ordonnancement politique. Hanté,
puisque, plus encore que l’exploitation capitaliste, c’est le fantôme de
l’oppression coloniale qui transparaît derrière les apparats « modernes »
de la faim. Comme au centre d’une ingénieuse machine, ce sont
mille et une vies qui s’agitent pour assurer les opérations nécessaires
à l’accumulation du capital et à la prospérité nationale. Tant et si
bien que l’on pourrait croire, l’espace d’un instant, que cet ensemble
complexe repose sur l’agrégation des bonnes volontés et le consente‑
ment docile. Pourtant, parce qu’il a probablement conservé de son
militantisme maoïste une passion têtue pour les faits, Linhart nous
rappelle – preuves à l’appui – que c’est au prix des vies des paysans
broyées que tiennent ensemble l’économie et la politique. Sans sucre,
pas de faim. Sans faim, pas de sucre.
Au‑delà du sentiment de familiarité que m’a inspiré ce témoignage,
au‑delà des ressemblances entre les plantations sucrières des Antilles
et celles du Pernambouc, au Brésil, le parcours de Robert Linhart
fait également écho aux récits de vie que j’ai recueillis durant mon
enquête. À l’instar de nombreux responsables syndicaux, militants
anticolonialistes, il a fait partie de cette jeunesse qui s’est enthou‑
siasmée pour les soulèvements révolutionnaires et la lutte contre
l’impérialisme aux quatre coins du monde. Comme lui, c’est dans la
circulation d’un territoire à un autre, d’un monde à un autre, que
les militantes et les militants que j’ai rencontrés se sont forgé une
conscience politique adossée à leur désir d’émancipation : sautant
de la ville aux campagnes, de la porte de l’usine ou de l’habitation à
celle de l’université, au gré des expériences individuelles et collectives.
Puis, une fois retombé le souffle révolutionnaire qui avait porté leur
jeunesse, ils sont revenus sur leurs pas sans abandonner le combat.
Certains ont été tentés de prendre les armes. D’autres se sont mués
en marranes 2, en stratèges patients, s’évertuant à préserver des recoins
2. J’emprunte ici l’expression au philosophe Daniel Bensaïd, qui utilisait fréquemment
la métaphore du marranisme juif pour désigner sa fidélité « clandestine » aux idéaux du
marxisme révolutionnaire durant les années 1980, dans une période où ceux‑ci étaient parti‑
culièrement stigmatisés dans l’espace public par les discours néolibéraux. Lire notamment :
Daniel Bensaïd, Une lente impatience, Paris, Stock, 2004.
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