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Du même auteur (en collaboration)
Rommel Mendès-Leite, Catherine Deschamps, Bruno Proth, Bisexualité,
le dernier tabou, Cal mann-Lévy, Paris, 1996.
b:
1 MODERNES 1 BALLAND
Catherine Deschamps
Le miroir bisexuel
Une sodo-anlhropologie de l'invisible
Éditions Balland
33, rue Saint-André-des-Arts
75006 Paris
© Éditions Balland, 2002.
b
Remerciements
Mes remerciements sont adressés tout autant à des chercheurs qu'à
des militants; parfois ce sont les mêmes, souvent ils sont pour moi bien
plus que l'un ou l'autre.
En premier lieu, je remercie les fondatrices du «Groupe Bi., surtout
Anne Bensoussan, qui en a été la principale instigatrice, et Nathalie
Millet, qui en a encouragé la création. Je remercie aussi la plupart des
personnes qui sont passées ou restées à Bi'cause. Parce que se nouent
toujours des amitiés en cours de terrain, j'embrasse Elisabeth Mathé,
John Wulfsohn, Gilles Salomon, Patrizia. J'embrasse aussi Naomi
Tucker, Robyn Ochs et Ron Fox, qui aux États-Unis oeuvrent sans
discontinuer pour faire de la bisexualité un sujet politique et univer
sitaire légitime. Les séminaires Queer du Zoo et les réunions de rédac
tion du 3 Keller ont produit des échanges stimulants, de ces accords
et désaccords qui donnent à penser: special thanks à toutes et tous,
en particulier à Marie-Hélène Bourcier, Beatriz Preciado, Marco
Oell'Omodarme, Nicole Lacroix-Roudaire, Philippe Colomb, Xavier
Lemoine et Alain Deron. Le GRE H a également été un espace riche
en rencontres et en discussions: Rommel Mendès-Leité, Pierre-Olivier
de Busscher, Christophe Braqua, Néila Mendès-Lapes, Bruno Proth,
André Béjin, Brigitte Lhomond, Patrice Pinell, Alain Giami, Thémis
Apostolidis, Yves Souteyrand, Michaël Bochow, entre autres, sont des
personnes que j'ai eu plaisir à entendre et à croiser. C'est avec Rommel
Mendès-Leite et Bruno Proth que la recherche sur la bisexualité a
débuté: je les embrasse tous les deux doublement. Il y a quelques
années, les séminaires de Nicole-Claude Mathieu à l'EHESS et les
deuxièmes mi-temps au café ont nourri ma réflexion: un grand merci
à elle, à Danielle Charrest et aux étudiantes de l'époque.
Ce livre s'est construit à partir des critiques de celles et ceux qui en
ont lu des versions antérieures: je tiens à dire à Eric Fassin ma grati
tude pour ses remarques lors de ma soutenance de thèse. Guillaume
Dustan m'a également guidée lors de la réécriture: je le remercie pour
ses conseils et les petits remaniements; je le remercie plus encore
d'avoir eu envie de publier ce texte. ]1 y a Marie-Elisabeth Handman :
sans ses encouragements, ses grognements bienveillants, son enthou
siasme, cette recherche n'aurait tout simplement pas commencé. Elle
sait combien je lui suis redevable; je sais aussi qu'il s'agit d'autre
chose. Et puis, il y a Danielle Jolibois-Deschamps : elle m'a écoutée
mettre en mots, m'a fait confiance et m'a soutenue sans jamais faillir.
Je l'embrasse très fort.
Enfin, et plus que tout, il y a toi que j'ai rencontré. C'était une réu
nion privée, il y était question de bisexualité et tu m'as ouvert la porte
(too much>' Ensuite, tu n'as pas fait que supporter mes périodes de
mauvaise humeur pendant le terrain et la rédaction; tu n'as pas même
assuré la frappe du texte comme font les bonnes épouses corvéables
à merci. Tu as fait beaucoup plus: tu m'as aidée à penser ce quelque
chose qui parle des liens entre le visible et la visibilité. Image, politique
et bisexualité se sont croisées grâce à toi, Philippe Jozelon. Ce livre est
un morceau de notre histoire (too much, bis>.
b
Introduction
«Notre civilisation, en première approche du moins, n'a
pas d'ars erotica. En revanche, elle est la seule, sans
doute, à pratiquer une scientia sexualis. Ou plutôt, à
avoir développé au cours des siècles, pour dire la vérité
des sexes, des procédures qui s'ordonnent pour l'es
sentiel à une forme de pouvoir-savoir rigoureusement
opposée à l'art des initiations et au secret magistral: il
s'agit de l'aveu," (Michel Foucault, 1976: 77-78)
Bisexualité: d'une existence problématique à l'omniprésence
« Les bisexuels ça n'existe pas!»
J
A-t-on déjà proféré de tels propos sur les noirs, les blancs, les femmes
ou les homosexuels? La catégorie, d'emblée, est niée. Étrange recherche
que de travailler sur une population dont la présence est mise en doute.
Pourtant, que les bisexuels existent, au moins deux acceptions du mot
l'indiquent : on parle de «pratiques bisexuelles» et les enquêtes sur la
sexualité montrent qu'elles sont loin d'être quantité négligeable; et,
par ailleurs, certaines personnes s'autodésignent comme bisexuelles.
Il n'en est pas moins vrai que mon envie de m'intéresser à la bisexua
lité a commencé par un malentendu.
Il y a six ans, j'étais frappée par ce no man's land qui semblait exister
entre l'homosexualité et l'hétérosexualité, principalement dans les
études de sciences sociales relatives au sida. Travailler sur la bisexua
lité et les bisexuels paraissait être un bon outil pour mettre en cause
la bipolarité, dont l'expression en matière de sexualité n'était qu'un
des aspects particuliers. Ce n'est que plus tard que je me suis aperçue
que loin de bouleverser les principes bipolaires, la bisexualité en offrait
plutôt une synthèse: en ce qu'elle impose de parcourir l'ensemble des
sexualités, la bisexualité renferme une vision globalisante de la pensée
binaire, quand une dénomination par les contraires en donne une vision
éclatée. Dans le même temps, plutôt qu'être un prétexte à parler de
l'extrême variété des situations en présence, la bisexualité devenait
un instrument d'observation des normes et des représentations. En
d'autres termes: une recherche sur la bisexualité et les bisexuels, sur
les images qu'ils produisent et celles dont ils font l'objet, permet de
repérer des mécanismes sociaux transversaux à toutes les orientations
sexuelles, bisexualité comprise. Dès lors, la bisexualité permet non
plus une approche diffractée de la différence mais une compréhension
holistique du phénomène. C'est dire l'ampleur du sujet et la difficulté
de le traiter tout entier!
Étapes de la recherche et déplacements
Mais revenons aux prémisses d'une recherche qui a commencé par un
travail à trois. En 1994, Rommel Mendès-Leite, Bruno Proth et moi
même avons décidé de travailler ensemble sur la bisexualité. Parce
qu'ils ont bénéficié d'un financement de la Direction Générale de la
Santé pour comprendre la gestion du VI H par les hommes à pratiques
bisexuelles, notre collaboration s'est attachée surtout au versant
L
masculin de la bisexualité'. Le critère de sélection reposait alors sur
la déclaration par les enquêtés de rapports sexuels avec des partenaires
des deux sexes. Il s'agissait donc de questionner au moyen d'entretiens
semi-directifs les pratiques bisexuelles et secondairement les identités
sexuelles. À cette époque, il n'existait pas d'association de bisexuels
connue sur laquelle faire reposer une recherche en termes identitaires.
Décembre 1995 marque un tournant : c'est le mois de naissance
d'un groupe bisexuel, le «Groupe Bi », qui s'est constitué ensuite en
association de type .Ioi 1901», sous le nom de Bi'cause. Le groupe
reposait - et repose toujours en 2001 - sur la reconnaissance et
l'acceptation de l'identité bisexuelle. J'ai amorcé dès lors un travail
solitaire d'observation du groupe, de ses commencements où il ne
comptait que quatre personnes, au printemps 1999 où l'association
concernait près de quatre-vingts adhérents et beaucoup plus «d'utili
sateurs passifs». J'ai ainsi pu le suivre depuis ses débuts et noter les
évolutions successives qui l'ont traversé.
L'observation du «Groupe Bi», puis de «Bi/cause», a mis en relief
ce qu'une recherche sur les identités bisexuelles pouvait apporter de
complément à une recherche sur les pratiques.
On a d'un côté des individus, perdus dans la masse et qui sans doute
représentent dans leur logique d'invisibilité le plus gros du contin
gent des personnes ayant des pratiques bisexuelles, et, de l'autre, un
collectif qui, pour n'avoir pas vocation à dire la bisexualité au sens
générique, est cependant un espace idéal d'investigation.
Dans ce livre, l'accent sera mis en priorité sur les caractéristiques iden
titaires, politiques et culturelles. La bisexualité servira aussi de socle
1. Pour ma part, j'ai obtenu en 1996 une bourse de trois ans de l'Agence Nationale de
Recherche sur le Sida pour mener à bien mon doctorat d'anthropologie sociale sur la bisexua
lité masculine et ftminine. Je tiens vivement à remercier l'ANRS d'avoir pris le risque de
financer une recherche qui portait tant sur les femmes que sur les hommes, et qui en outre
ne plaçait pas le sida au cœur des problématiques.
d'observation de l'ensemble des orientations sexuelles - d'où de fré
quentes incursions du côté de l'homosexualité et de l'hétérosexualité-,
et d'outil de déconstruction des normes les plus insidieuses. Car un
des postulats tient en ce que la bisexualité, davantage qu'une identité
pertinente en elle-même, est une formidable fouteuse de merde, une
délatrice de l'invisible.
Le choix de mettre en avant les aspects collectifs répond à une volonté
de rompre avec la manière dont la bisexualité a souvent été traitée par
les sciences sociales depuis l'apparition du sida. Pour comprendre ce
choix, un survol des manières d'aborder la (bilsexualité depuis quel
ques décennies est un préalable nécessaire à la compréhension.
Choix de problématique
En référence au VIH, depuis les années 1990, les bisexuels, certains
bisexuels et certaines composantes de leur sexualité, sont cités expli
citement dans les recherches: ils gagnent en visibilité. Mais si les pra
tiques bisexuelles bénéficient d'une bien meilleure exposition depuis
dix ans dans les recherches de sciences sociales liées au sida (Schiltz,
M.-A., 1992; Messiah, A., Mouret-Fourme, E., 1993), leur traitement
continue de susciter quelques interrogations.
Ainsi, qu'en est-il de l'indexation de la bisexualité à l'homosexualité?
Elle ne serait pas nécessairement problématique si l'on voyait se
développer en symétrie des enquêtes sur l'hétérosexualité qui font le
lien avec des pratiques bisexuelles occasionnelles'. Car enfin, à adopter
ponctuellement une approche behavioriste de la bisexualité, on sait
2. Dans le catalogue de la XI' Conférence Internationale sur le sida de Vancouver (juillet
1996) par exemple, qui faisait un relatif pont d'or à la bisexualité en comparaison de la place
qui lui était réservée lors des autres conférences du même type, un seul abstract faisait le lien
entre hétérosexualité et bisexualité masculine: Fecht, M., «AlOS outreach program targetlng
heterosexual and bisexual men : positrve straight men_ (Fecht, M., 1996, ThO 5133 - réfé·
rences catalogue). À titre comparatif, posters et présentations orales confondus, près d'une
centaine d'abstracts mixaient les populations homo-et bi-sexuelles.
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