Table Of ContentDe Barrett à Zollinger-Ellison : quelques cas historiques en gastroentérologie
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De Barrett à Zollinger-Ellison
Quelques cas historiques
en gastroentérologie
ISBN : 978-2-287-77032-6 Springer Paris Berlin Heidelberg New York
© Springer-Verlag France, Paris, 2008
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Maquettedecouverture:Jean-FrançoisMontmarché
AVANT-PROPOS
Du syndrome d’ABAZA (Syndrome gravidique d’origine hormonale,
somatotrope ou corticosurrénale) à celui de ZUELZER (hyperœsinophilie
considérablechezlesgrandsenfants),lamédecinefoisonned’illustrespraticiens
qui laissèrent leur nom à un signe ou à une maladie.
La pathologie digestive n’est pas en reste.
Mais qui étaient BARRETT, BOERHAAVE, CROHN, CRUVEILHIER,
DIEULAFOY, ELLISON, LYNCH, MALLORY, MENDELSON, MÉNÉTRIER,
WEISS, WHIPPLE, ZOLLINGER, et tant d’autres? À quelle époque vécurent-
ils? Quelle fut leur histoire personnelle? Dans quelles conditions ce signe ou
cette maladie leur fut-il, ou elle, attribué(e)?
Vingt et unième siècle et troisième millénaire ont commencé. Chaque année,
les praticiens verront se développer davantage de progrès technologiques, ils
accèderontauxconnaissanceslesplusextrêmesdesmécanismeslesplusintimes
du fonctionnement cellulaire, ils toucheront au plus profond des mystères de
la vie et de la mort. Pour autant, il est impératif que tout médecin garde
en mémoire la connaissance des découvertes de ses prédécesseurs, qu’il ait
conscience des doutes, des errements et des erreurs de ceux-là mêmes dont les
noms figurent dans tant de livres et tant de publications, tant il est vrai que le
futur se construit dans le présent à l’expérience du passé. Traditions et progrès
ont toujours coexisté et doivent se compléter harmonieusement et non se
combattre.
Àproposd’unemaladieàlaquelleestattachéunnomdevenucélèbre,unexpert
contemporainrapporteetanalyselapublicationprinceps,puislivresaréflexion
surl’évolutiondesidéesrelativesàcetteaffection.Ildépeintégalementlestraits
de caractère, les petites manies ou les grands défauts de ce personnage illustre.
Dans un texte mêlant science, histoire et humour, nous est présenté l’essentiel
de ce qu’il ne faut pas oublier.
Fernand VICARI Arsène PAPAZIAN
SOMMAIRE
Avant-propos 5
Fernand VICARI, Arsène PAPAZIAN
L’œsophage de Barrett 9
Norman Rupert Barrett : un homme chaleureux
René LAMBERT
Le syndrome de Boerhaave 19
Hermann Boerhaave (1668-1738) : médecin, philosophe,
théologien, naturaliste expert en botanique, mathématicien,
chimiste et clinicien d’un tel niveau d’enseignement
qu’il devint le « magnus ille medicorum universae
Europae praeceptor »
Alain SÉGAL
La maladie de Crohn 35
Burrill Bernard Crohn, celui qui voulait distinguer l’iléite
au sein des granulomatoses intestinales
Philippe MARTEAU
L’ulcère de Cruveilhier 45
Jean Cruveilhier : séminariste par vocation
et médecin par obéissance
Jacques FREXINOS
L’exulceratio simplex de Dieulafoy 55
Georges Dieulafoy (1839-1911) : un modèle d’enseignant médecin,
convaincu de l’importance des explorations paracliniques
et de la prise en charge médico-chirurgicale des maladies
Guillaume CADIOT
8 DeBarrettàZollinger-Ellison:quelquescashistoriquesengastroentérologie
Le syndrome de Lynch 65
Henry Thomson Lynch, un itinéraire exemplaire
de la génétique clinique à la biologie moléculaire
Claude MATUCHANSKY
Le syndrome de Mallory-Weiss 79
George Kenneth Mallory et Soma Weiss :
deux personnalités et deux trajectoires très différentes
Guillaume CADIOT
Le syndrome de Mendelson 91
Curtis Lester Mendelson : obstétricien et cardiologue,
pionnier de la sécurité anesthésique
Jean-Pierre HABERER
La maladie de Ménétrier 103
Pierre Eugène Ménétrier, amoureux par naissance
des lettres et de l’Histoire
Iradj SOBHANI
La maladie de Whipple 115
George Hoyt Whipple : anatomopathologiste,
chercheur, prix Nobel de médecine
Claude MATUCHANSKY
Le syndrome de Zollinger-Ellison 127
Robert M. Zollinger et Edwin H. Ellison,
deux chirurgiens (le maître et l’élève respectivement),
physiologistes, chercheurs et raisonnant bien
Michel MIGNON
Les auteurs 137
L’œsophage
de Barrett
NormanBARRETT
Documentaimablementconfié
parleProfesseurRobertGIULI
Norman Rupert Barrett : un homme chaleureux
René LAMBERT
Norman Rupert Barrett, d’origine anglaise, est né en 1903 à Adélaïde
(Australie).LafamilleretournapeuaprèsenAngleterre,oùNormanbéné-
ficia de la traditionnelle éducation d’Eton et du Trinity College à Cambridge.
Après de brillantes études médicales et des fonctions de résident à l’hôpital
SaintThomas,ilfutnommé,en1928,Masterenchirurgie.En1935,bénéficiant
d’une bourse Rockefeller, il passa un an aux États-Unis à la Mayo Clinic. Ce
stagerévélasapersonnalitéalorsqu’ilétaitexposéauxavancéesrapidesdela
chirurgie américaine de l’époque, ceci contrastant avec les méthodes relative-
mentsobresquiétaientenvoguedel’autrecôtédel’Atlantique.Dèslors,plu-
sieurslienssolidesetamicauxsesontcréésavecleséquipesaméricainesqu’il
pututiliserparlasuite.
Sonimpact,sonenthousiasmeetsonhabiletéfurentrapidementreconnus.À
sonretour,ilfutnommé,en1936,danslestaffdel’hôpitalSaintThomaspuis
aussi dans celui de l’hôpital Brompton. C’est à ce moment qu’il décida de
s’orienter vers la chirurgie thoracique, spécialité alors non reconnue et même
suspecte. Il n’était donc pas question de solliciter la constitution d’une unité
dechirurgiethoracique.
En 1948, dès qu’il fut nommé Senior Surgeon et qu’il lui fut attribué des lits
personnels,ilopérad’unefaçonquiallaitdevenirchezluiunehabitude,enne
demandantaucuneautorisationauxcomitésresponsables.Ildécréta,unjour,
quel’unitéquiluiétaitattribuéeseraitdésormaisconsacréeexclusivementàla
chirurgiethoracique.Cettedéclarationfutproclaméeàlasœurresponsablede
l’unité ainsi qu’aux assistants, et suivie de la mise en pratique rapide. Le
milieu, quelque peu scandalisé, de l’hôpital Saint Thomas se trouva ainsi,
malgré lui, en possession d’une unité chirurgicale hautement spécialisée.
Normanprocédaainsi,toutaulongdesacarrière,ens’illustrantparlecourt-
circuit des travaux de commissions et des inaugurations : il construisit ainsi
Norman fut aimé pour sa joie de
unetrèsconsidérableunitédesoinsintensifs.
vivre, son incapacité à être triste,
autant que pour ses qualités Normanfutaimépoursajoiedevivre,sonincapacitéàêtretriste,autantque
d’enseignant. pour ses qualités d’enseignant. La chaleur de son accueil, sa tendresse, sa
10 DeBarrettàZollinger-Ellison:quelquescashistoriquesengastroentérologie
gentillesse furent connues de ses résidents et assistants tout autant que les
épisodes agressifs où il devenait brusquement impossible. Dans l’ensemble,
Normansuscitaitl’enthousiasmeetledévouementdel’équipemédicale.Ilfut
alorsunanimementconnusouslesurnomdePatsy.
Endehorsdesonactivitéprofessionnelle,Patsyserévélaêtreunboncuisi-
nier mais surtout un amoureux de la mer qu’il se plaisait à peindre avec
talent. Bon marin, il fut également consultant chirurgical de la marine. Il
épousa Betty, issue d’une famille de marins, et ils eurent deux filles. Patsy
mourut le 9 janvier 1979 dans sa 75e année.
Pendant sa carrière, Patsy reçut bien des honneurs et parvint au sommet
desaprofession.IlfutéditeurdujournalThoraxde1946à1971,membredu
Council du Royal College of Surgeons de 1963 à 1974, et chairman de nom-
breux comités. Les liens professionnels de ce passionné de la mer ne se
sontpaslimitésàl’axetransatlantiquedesajeunessepuisqu’ilcultiva,avec
Son amitié avec autantdedynamisme,latraverséeduChannel.SonamitiéavecJean-Louis
Jean-Louis Lortat-Jacob Lortat-Jacob s’est maintenue au travers des controverses sur la création
s’est maintenue au travers d’une spécialité d’œsophagologie et sur la description de la maladie qui
des controverses. porte son nom. C’est ce lien entre ces deux personnalités qui permit de
fonderl’associationOESO,sousl’impulsiondeRobertGiuli,élèvedévoué
de Jean-Louis Lortat-Jacob.
LES PRÉCURSEURS
Barrett ne fut pas le premier Barrettnefutpaslepremieràdémontrerlaprésencedemuqueusegastrique
à démontrer la présence dans l’œsophage. L’hétérotopie de la muqueuse gastrique fut décrite, en
de muqueuse gastrique 1805,parA.Schmidtquiinsistasursesdimensionsréduitesetsursaloca-
dans l’œsophage. lisation proximale dans l’œsophage. L’ulcère chronique de l’œsophage fut,
quant à lui, présenté à Boston en 1906 par Tileston qui en collecta 46 cas.
Il le définissait comme s’agissant d’un ulcère peptique de l’œsophage et
insistait sur l’allure gastrique de la muqueuse environnante.
1950 :
Première description par Norman Rupert Barrett
Pour lui, il s’agit bien d’un Dans sa description princeps, en 1950, Barrett définit l’œsophage comme
segment intrathoracique tubulisé un segment du tube digestif distal au pharynx, et revêtu d’une muqueuse
de l’estomac et donc d’une épidermoïde jusqu’à l’estomac, lui-même revêtu d’une muqueuse cylin-
anomalie congénitale. drique. Il décrit un ulcère chronique de l’œsophage dans le segment intra-
thoracique,placésurunépithéliumdetypecylindriquegastrique.Pourlui,
il s’agit bien d’un segment intrathoracique tubulisé de l’estomac
Il faut remarquer que et donc d’une anomalie congénitale. L’œsophage revêtu de muqueuse
la description est entièrement épidermoïde est court : c’est un brachyœsophage. Il faut remarquer que
orientée sur un œsophage porteur la description est entièrement orientée sur un œsophage porteur d’un
d’un ulcère. ulcère. Barrett insiste enfin sur deux points :
– Toutd’abord,cetulcèrechroniquedetypegastriquedoitêtretotalement
séparé des ulcères de l’œsophagite et du reflux œsophagien tels qu’ils
viennent d’être décrits dans la période 1945-48 par Allison. L’ulcère de
l’œsophage est un ulcère peptique vrai, développé sur une muqueuse
de type pylorique dans l’œsophage moyen ou distal ; il ne dépend pas de
l’effet agressif du reflux œsophagien mais bien de la sécrétion acido-
peptique de cette muqueuse en position ectopique.
– Enfin, cet ulcère gastrique intrathoracique ne se développe pas sur une
zone d’hétérotopie gastrique. Cette anomalie congénitale très fréquente,
L’œsophagedeBarrett 11
retrouvée chez 70 % des sujets dans la région sous-cricoïdienne de l’œso-
phage proximal, est très rarement à l’origine de complications, et ne
saurait sécréter assez d’acide pour générer un ulcère.
1951-1956 :
Années de controverse
Dans les années suivantes, plusieurs éléments vont compléter cette
description. En 1951, Boosher et Taylor décrivent des cellules intestinales
(et non pyloriques) sur ce segment de l’œsophage et, en 1952, Morson et
Belcher y décrivent des cellules caliciformes en signalant la possibilité
Les constatations les plus précises d’associationàunadénocarcinome.Lesconstatationslesplusprécisessur
sur la nosologie de l’ulcère la nosologie de l’ulcère chronique de l’œsophage sont faites par Allison
chronique de l’œsophage sont et Johnstone en 1953. Tout en soulignant le mérite de Barrett, et en
faites par Allison proposant d’appeler cette lésion « ulcère de Barrett », ils le contredisent
et Johnstone en 1953. franchement sur deux points :
– Ils affirment que cette lésion concerne l’œsophage et non un segment
d’estomac intrathoracique car l’organe n’est pas péritonisé. La tunique
musculaire étant du type œsophagien, il existait des glandes sous-
muqueuses comme dans l’œsophage.
– Ils ne pensent pas qu’il s’agisse d’une anomalie congénitale et suggè-
rent le rôle du reflux gastro-œsophagien, s’inscrivant ainsi dans une conti-
nuité avec leurs travaux antérieurs sur l’œsophagite.
Lortat-Jacob se range au point Del’autrecôtéduChannel,Jean-LouisLortat-Jacobestvivementintéresséet
de vue d’Allison, et propose ced’autantplusqueMadeleine,sonépouse,consacresathèse,en1950,à
la terminologie 5 cas d’ulcère peptique de l’œsophage. Lortat-Jacob se range au point de
d’endobrachyœsophage. vue d’Allison, et propose la terminologie d’endobrachyœsophage, vocable
qu’il consacrera dans une publication datée de 1957.
Norman Barrett, sous la double Norman Barrett, sous la double influence d’Allison et de Lortat-Jacob, finit
influence d’Allison et de par admettre qu’il s’était trompé, reconnaissant qu’il s’agissait bien d’un
Lortat-Jacob, finit par admettre œsophage revêtu d’une muqueuse de type gastrique, mais la présence de
qu’il s’était trompé. métaplasieintestinalen’estpassoulignée.Àcetteépoque,Barrett,comme
Lortat-Jacob, à l’opposé d’Allison, considère que le reflux gastro-œsopha-
gienn’estpasunélémentimportantdanslagenèsedeslésions,etaccorde
la priorité à l’origine congénitale.
1957 :
Deuxième description par Norman Rupert Barrett
En 1957, Barrett, ayant achevé sa mutation, produisit une nouvelle
synthèse:cen’étaitplusl’ulcèrechroniquedel’œsophagemaisl’œsophage
distal tapissé de muqueuse cylindrique. Cette nouvelle publication, qui
reflétait les conceptions de l’époque, fut présentée comme un petit traité
d’œsophagologie.
Barrett s’appuya d’abord sur l’anatomie comparée et l’analyse de la jonc-
tion œsophago-gastrique. Le revêtement épidermoïde de l’œsophage
s’interrompantàunehauteurvariableselonlesespècesanimales,ilrappela
l’extensiondistaledecetépithéliumchezlesruminantsetchezlerat.Pour
lui, une anomalie de développement pourrait expliquer un déplacement
proximaldelajonctionsquamo-cylindrique.Ils’agiraitdoncbiend’uneaffec-
tioncongénitale.
Il classa ensuite méthodiquement et didactiquement les affections
œsophagiennes qui prêtaient à confusion avec l’œsophage distal revêtu