Table Of ContentLES DISCRIMINATIONS RACISTES :
UNE ARME DE DIVISION MASSIVE
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
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ISBN : 978-2-296-13882-7
EAN : 9782296138827
Saïd Bouamama
LES DISCRIMINATIONS RACISTES :
UNE ARME DE DIVISION MASSIVE
Préface de Christine Delphy
Je tiens à remercier Jean-François Gasmeur et Yvon Fotia pour leur
aide à la réalisation de cet ouvrage.
Je dédie cet ouvrage à Abdelmalek Sayad dont l’œuvre
inachevée est porteuse d’égalité et d’émancipation.
Sommaire
Préface p.11
Introduction p.17
Les grilles de lecture des discriminations racistes p.25
Introduction
Chapitre 1 : Les mots sont importants
Chapitre 2 : La grille de lecture culturaliste
Chapitre 3 : La grille de lecture ouvriériste
Chapitre 4 : Le paradigme de la concurrence systémique
Conclusion
Les masques idéologiques p.111
Introduction
Chapitre 1 : La victimisation ou la grille de lecture du malade imaginaire
Chapitre 2 : Le tokénisme ou l’arbre qui cache la forêt
Chapitre 3 : La diversité ou la diversité qui fait diversion
Chapitre 4 : L’Egalité des chances ou tant pis pour ceux qui n’ont pas de
chance
Chapitre 5 : La cohésion sociale ou l’approche morale du social
Chapitre 6 : La mixité sociale ou la pathologisation des milieux populaires
Conclusion
Conclusion générale. Les pseudo-pratiques de lutte contre
les discriminations racistes p.197
Table des matières p.211
Préface
Certains diront : encore un livre sur les discriminations ! Ce sont les
mêmes qui disent : « Assez de repentance ! » - comme s’il y avait eu le
début de l’ombre d’une repentance - applaudis par tous ceux pour qui le
pire cauchemar serait d’avoir à s’excuser de leurs ignominies ou de celles
de leurs pères et frères. Arrogance du dominant, et arrogance française.
Ou peut-être retard français : peut-on imaginer les Anglais parler
aujourd’hui de la colonisation de l’Inde et la défendre en disant : « mais
nous avons fait des routes et des hôpitaux » ?
Eh bien non, ce n’est pas « encore » un livre sur les discriminations
mais enfin un livre sur les discriminations. Les discriminations racistes.
Mais enfin, dira-t-on, depuis le temps qu’on parle du racisme ! C’est vrai.
Mais de quoi parle-t-on ? Qu’entend-on par racisme, depuis le temps
qu’on en parle, que des universitaires, des chercheurs du CNRS, des
sociologues, des philosophes, écrivent des livres sur le sujet ? Ces livres,
pour la majorité d’entre eux, parlent des individus racistes et de leurs
idées. Ils ne sont pas à dédaigner, loin de là. Mais, quand dans son livre
pionnier, paru en 1972, Colette Guillaumin parlait de l’Idéologie raciste,
elle incluait dans l’idéologie les représentations et les pratiques, pas
seulement les idées. Puis, dans les années 80, les idées des racistes - ou
des sexistes -, leurs « préjugés » sont devenus le seul centre d’intérêt des
chercheurs. Les plus connus des spécialistes du racisme en France sont
les chercheurs qui ont analysé les théories racistes, qui ont distingué des
époques, des nuances, des écoles : le racisme « biologique » précédant le
racisme « culturel », le racisme du prolétariat à distinguer du racisme des
bourgeois ; le racisme nazi, le racisme français, le racisme espagnol ;
l’histoire des idées racistes, la structure philosophique des idées racistes.
Ce n’est pas inintéressant. Et cela meuble : pendant ce temps, on avait
l’impression que le terrain était occupé (et certainement, sur le plan de
l’institution universitaire) il l’était, l’impression qu’on progressait dans la
connaissance du racisme, qu’on allait pouvoir lutter contre.
Cette stratégie d’occupation était aussi une stratégie de containment ;
pendant ce temps, on oubliait l’autre moitié des protagonistes du
racisme : les victimes. Dans ces livres, sauf exception déjà mentionnée,
aucune place pour celles et ceux qui pâtissent du racisme, celles et ceux
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qui ne sont pas seulement tués ou injuriés par « les racistes », mais
surtout discriminés. Ce terme passif « être discriminé » vient d’ailleurs
d’apparaître dans la langue. Les premières études, confidentielles, parlant
à l’occasion de discrimination, remontent tout au plus aux années 90.
En fait, les victimes du racisme n’intéressaient personne. Et l’ampleur
du préjudice qu’elles subissent n’était pas appréhendée : ces destinataires
des actes racistes ne pouvaient être victimes que d’individus isolés, qui
les insultaient et parfois les agressaient physiquement. C’était ça le
racisme, c’était à la fois révoltant et exceptionnel.
Les spécialistes du racisme refusaient l’idée même de racisme
systémique, soutenant que cela signifierait « un racisme sans acteurs ». Et
à Dieu ne plaise ! Quelle horreur ! Or, que les acteurs ne soient pas des
individus isolés ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’acteurs, mais que dans
un système, il est difficile, voire impossible, de tenir pour responsables
quelques individus nommément identifiés.
Quand toute une population, en raison de son « origine », ou de son
« sexe », souffre d’un taux de chômage extraordinairement élevé, d’un
taux de promotion extraordinairement bas, cela n’est imputable à aucun
individu, ni même à des individus. C’est ce qu’on appelle le racisme
systémique, et c’est cela que Bouamama étudie et dénonce.
Dans le même temps, et avant même de le dénoncer, il doit dénoncer
la dénégation et le déni : « Non, il n’y a pas de discrimination en France.
Tout le monde est égal ». Ah oui ? « Oui, puisque c’est dans la
Constitution, dans nos valeurs, dans notre identité nationale.
Oui, puisque c’est écrit ».
Dans l’optique française, les faits comptent pour peu : seuls les
principes ont de la valeur, et les nôtres sont irréprochables. L’égalité est
un de nos principes, donc l’égalité existe, tel est le sophisme français ; et
la conséquence, c’est qu’on ne doit pas s’attarder ni même poser le
regard sur ce qui dans la réalité n’est pas conforme au principe. « Si cela
arrive, vous dit-on avec impatience, cela doit être accidentel, ou alors
merveilleuse porte de sortie ! - peut-être n’avez-vous pas, vous
personnellement, toutes les qualités requises ? Mais soyez assuré.e que
nos principes ont été respectés à la lettre ». Le dédain pour la réalité, le
dédain pour les victimes du racisme, pour leurs vies, pour leurs histoires,
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pleines d’efforts non récompensés et de souffrance morale, le même
dédain est ce que les féministes rencontrent quand elles dénoncent
l’injustice faite aux femmes, l’injustice qui est le pain quotidien, la
musique de fond, l’odeur âcre qui entoure, qui constitue, qui est la vie
des femmes.
C’est pour cela que Saïd Bouamama est mon âme frère, parce que le
racisme comme système, le patriarcat comme système, se ressemblent
énormément. Tous les systèmes hiérarchiques, tous les systèmes de
classement possèdent les mêmes mécanismes : d’abord, la
discrimination, ensuite, ses rationalisations : les femmes sont trop ceci ou
trop peu cela, comme les « issus de l’immigration ». Les rationalisations
peuvent varier : on ne reproche pas les mêmes choses aux unes et aux
autres. Mais ces rationalisations ont en commun d’être des
rationalisations des mêmes actions : de la « mise en bas » dans la réalité.
Ces rationalisations, l’idéologie raciste ou l’idéologie sexiste, sont aussi
en elles-mêmes une action : on espère que les humiliés.ées et les
offensés.ées vont finir par croire qu’ils et elles sont sales, impurs.es,
incapables, méprisables. Bien sûr, méprisables : car sinon, pourquoi
seraient-ils/elles méprisés.ées ? Pourquoi se retrouveraient ils et elles
finissent par le croire, sinon totalement, au moins un peu. Le racisme,
comme le sexisme, les minent de l’intérieur. Il leur est difficile, parfois,
souvent, de trouver en eux la conviction de leur pleine humanité, cette
conviction sans laquelle on ne peut se révolter.
Aujourd’hui, pour de multiples raisons, grâce à de multiple révoltes -
Marches pour l’égalité, naissance des Indigènes de la République (dont
Bouamama a été l’un des initiateurs), émeutes des banlieues en 2005 - et
aux injonctions de l’Europe, la France est obligée de prendre en compte
les discriminations raciales, que Bouamama préfère à juste titre appeler
les discriminations racistes.
Mais les prend-elle vraiment en compte comme des discriminations
systémiques ? Certes sur le plan juridique, elle a dû accepter la notion de
« discrimination indirecte »-qui se fait par la comparaison des chiffres
(d’emploi, de promotion, etc.), en vigueur depuis 40 ans en Grande-
Bretagne et aux USA, et qui est donc fondée sur l’idée de discrimination
systémique. Mais la France conserve cependant le même répertoire
d’explications du racisme.
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En France, dit Bouamama, on explique les inégalités de deux façons
contradictoires : l’une, qu’il appelle « culturaliste », place la
responsabilité de ces inégalités sur les gens qui les subissent, c’est le
discours sur l’intégration jamais assez complète. L’autre, à l’opposé,
qu’il appelle « ouvriériste », nie la spécificité des discriminations
racistes. Bouamama propose le paradigme de la concurrence-la mise en
concurrence de toutes les forces de travail. Ce paradigme suppose que les
discriminations se sont aggravées avec la globalisation et le néo-
libéralisme économique. Puis, il analyse les réponses apportées par la
société française aux discriminations racistes ; ces réponses sont basées
sur des études ; mais, curieusement, celles-ci aboutissent toutes à « la
production d’un savoir attendu » qui ne fait que conforter le paradigme
culturaliste dominant.
La deuxième partie, l’analyse critique des « réponses », donnera aux
féministes un sentiment de « déjà vu » assez inquiétant : rien ne bouge
parce que « les mentalités peinent à changer ». Ah, ces mentalités ! Déjà
le PCF nous les servait à chaque fois que nous revendiquions un
changement dans la réalité : « Ah non, pas possible, les mentalités ne
sont pas prêtes. Revenez l’année prochaine. » Heureusement, il existe
quelques groupes politiques qui prennent le social au sérieux : seulement,
dans leur social, il n’y a que la condition ouvrière, Une et Indivisible
(curieusement semblable, en ceci, à la République). Parler de sexisme ou
de racisme, c’est « diviser la classe ouvrière ».
Boumama plaide pour le paradigme de la concurrence, de la
fonctionnalité des discriminations racistes et sexistes pour l’ensemble du
système, et pour une démarche qui oublie un peu les « mentalités » : « il
ne s’agit plus de changer les joueurs mais les règles du jeu ». Il montre
comment les institutions mises en place pour étudier et/ou lutter contre
les discriminations sont des gadgets, et des gadgets dangereux car ils
produisent à nouveau des discours qui rendent les discriminé.es
responsables de leur échec : qu’il s’agisse du discours incantatoire sur le
changement des mentalités, du « parrainage », de la « formation des
acteurs », de l’accompagnement des victimes de discriminations pour
qu’elles ne se complaisent pas dans l’idée erronée qu’elles sont des
victimes, tous ces procédés évitent de mettre en cause l’aspect
systémique, nient de facto son existence, renvoient les discriminés.ées à
leurs insuffisances, à leur mauvaise intégration, à leur incompétence,
professionnelle ou sociale.
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